Raconte moi des histoires

Pour bien raconter les histoires, il faut aussi savoir les écouter

Car tout ceci n’était qu’un rêve

Ou la pire astuce de fictionneur peu inspiré. Je suis une rêveuse. Dans tous les sens du terme. Je rêvasse le jour, je rêve la nuit et parfois, je m’en souviens. D’ailleurs, ça peut m’inspirer des romans même si l’idée initiale ne résiste pas beaucoup à l’examen des faits. Plus jeune, je m’intéressais même à l’interprétation des rêves. Avant de réaliser que si je rêvais de ceci ou cela, il y avait toujours une raison très prosaïque. Ce n’était pas le Destin, Dieu ou je ne sais qui qui m’envoyait un présage. Mais j’aime rêver. J’aime ces vies parallèles que mon cerveau me propose quand je dors. Des vies où, des fois, je ne suis même pas moi. Cependant, si j’adore rêver, y a un truc que je déteste : la ficelle du rêve dans les fictions.

Une scène horrible qui se termine par un réveil en sursaut

Ca se passe toujours de la même façon. Lae protagoniste se retrouve soudain dans une situation compliquée, flippante et… Oh mon Dieu, iel est blessé·e, iel va mourir, naaaaan ! Et là, notre personnage se réveille en sursaut et en sueur. Ou parfois, un mec gueule “coupez” et le personnage jouait dans une scène. Mais la plupart du temps, c’est un rêve. Alors déjà, j’aimerais savoir qui se réveille réellement en sursaut au point de s’asseoir sur sa couche, voire en virant les draps d’un geste sûr. J’en ai fait des cauchemars, hein. A mon époque, mon grand classique, c’était d’être dans un avion qui se crashe. Ou dans la rue et un avion se crashe sur moi. Oui, pas de bol. Maintenant que je n’ai plus peur des avions, c’est plus un ascenseur qui se crashe alors que je suis dedans. Bref, on s’en fout. Le fait est que j’ai fait des cauchemars qui impliquaient ma mort et je ne me suis jamais réveillée en m’asseyant sur mon lit et en criant. Sauf la fois où je me suis réveillée et vut un parfait inconnu assis au pied de mon lit. Pas de panique, c’était juste une hallucination hypnopompique. Et ça fait des années que je n’en ai plus, Dieu merci.

Le réveil en sursaut ou catapult nightmare dans vertigo

L’onirisme est un outil intéressant

Bon, passons sur l’irréalisme du réveil de fiction, on va dire que ça fait partie des conventions. Ca a même un nom, le catapult nightmare. Pourquoi un personnage rêve, pour commencer ? Le rêve est un outil intéressant pour souligner les angoisses profondes du personnage. Ca, je l’accepte tout à fait. Sauf que ce n’est pas tout à fait comme ça que les rêves sont utilisés dans les fictions. Non, dans la fiction, on nous raconte le rêve au premier degré, on nous le montre sans aucun indice évident que ça en est un. A moins que des personnages commencent à se conduire de façon absurde, comme cet épisode du Caméléon narré dans l’excellente émission Youtube de Y a plus de saisons. Un peu de pub pour une vidéo qui mériterait bien plus de vues. Mais la plupart du temps, non. Les cauchemars de nos héros et héroïnes préférées sont filmés au premier degré pour créer un stress chez le spectateur. Oh non, Gwendoline est morte, c’est affreux ! Ah non, ça va, c’était juste un rêve. Sacré ascenseur émotionnel, chapeau au fictionneur.

La chute d'Alice dans son rêve

Ca sent la triche…

On pourrait estimer que ces scènes, pour le moins trompeuses, servent à créer un peu plus d’empathie avec le personnage, nous faire vivre ses angoisses sans filtres. Moi je veux bien mais j’ai surtout l’impression qu’on essaie de me forcer à ressentir des choses face à une fiction qui s’avère pas mal faiblarde. Et qu’il y a tromperie sur la marchandise. Je veux dire je n’ai pas besoin de voir la mort onirique de Gwendoline pour comprendre que Jeff est très inquiet à son sujet. Aurais-je moins d’empathie si je voyais Jeff au petit matin devant sa tasse de café fumante avec une sale gueule et qui va expliquer à quelqu’un qu’il a cauchemardé ? Oui, c’est sans doute très bateau aussi, le “j’ai du mal à dormir. Dès que je ferme les yeux, je vois la mort de ce personnage que j’aime tant ou que je dois protéger. Dur la vie”. A l’arrivée, j’ai le même niveau d’information mais personne n’a essayé de me duper. 

réveil difficile

Tu peux pas me faire le coup deux fois. Déjà qu’une…

Revenons au roman d’héroic fantasy, “Dans la forêt magique”, que j’ai lu cet été et qui m’a peu séduite. L’autrice commence à initier un rapprochement amoureux entre les deux protagonistes principaux, ceux dont on suit l’histoire. L’écriture du roman est assez basique : un chapitre où c’est lui, un chapitre où c’est elle. Ok, jusque là, rien à redire. Sauf qu’à un moment, lui vit une scène terrible à base de bagarre, destruction et elle qui meurt, nooooon ! Ah non, c’était un rêve. Chapitre suivant, c’est elle qui se retrouve au coeur de la cité incendiée et elle entrevoit son amour et il meurt, nooooon ! Ah non, c’était un rê… attends, quoi ? Pardon ? Alors déjà, le premier rêve, j’y ai pas cru. Pas tant que c’était mal écrit. Plus que je la connais pas coeur cette ficelle et que j’y crois jamais, à la mort du héros dans le premier tiers du roman. Par contre, si tu me révèles que le premier était un rêve, tu peux pas me refaire le coup à la page suivante. Littéralement à la page suivante. J’ai la pleine possession de ma mémoire et je suis pas une enfant que tu vas pouvoir émerveiller pendant dix minutes en te cachant derrière tes mains pour créer la surprise. Non. Et je n’avais pas besoin de ces scènes là pour comprendre le profond attachement de ses deux personnages et le fait qu’ils ont peur l’un pour l’autre vu que tu me l’as déjà dit trois ou quatre fois avant. 

Lost highway

Le rêve ne surprend plus personne

En vérité, dans les fictions, le rêve me donne la sensation d’épice. Ah zut, on est dans une morne plaine du récit, il faut relever un peu tout ça. Allez, un peu de piment d’espelette, on tourne une scène où un personnage meurt mais en fait, ce n’était qu’un rêve et ça repart. Sauf que j’ai regardé suffisamment de react sur cauchemar en cuisine pour savoir que c’est pas un petit bout de piment d’espelette qui va rattraper un plat fade. Surtout que, pardon de le souligner, tout le monde connaît cette astuce. Le nombre de fois où on regarde un truc avec mon mec et dès que ça devient un peu bizarre, on est là “ah oui, ok, c’est un rêve, pffff”. On achète le truc 10 secondes avant de capter. Ca ne surprend plus personne. Non seulement c’est éculé mais c’est feignant comme astuce. Au moins, dans le cas de fictions filmées, je suppose que les acteurices ont pris un petit kiff à tourner cette scène là. Que tout ça ne soit pas tout à fait vain.

Le mauvais rêve de Sidney dans Scream

Vous voulez faire de l’onirisme ? Assumez

Bref, si tu veux mettre du rêve dans ta fiction, je propose que tu y ailles à fond. Façon David Lynch avec des univers très bizarres. A une époque, j’avais envisagé d’utiliser un dictionnaire des rêves quelconque pour faire des scènes oniriques absolument assumées mais qui contiendraient des indices pour la suite. Oh non, Gwendoline a rêvé qu’elle s’est piquée à une épine de rose, ça veut dire qu’elle va se séparer de Jeff. Bon, je ne suis pas certaine que la romance soit l’univers le plus adapté aux délires oniriques Lynchiens, certes. Et surtout, j’ai pas l’impression qu’il existe un dictionnaire unique de l’interprétation des rêves. Du coup, dans le mien, l’épine de rose peut signifier une rupture mais dans un autre, ça peut signifier la mort ou l’abondance. Oui parce que des fois, dans les dictionnaires des rêves, ya des trucs qui paraissent négatifs qui sont bons présages. Cherchez pas, c’est pas scientifique, ce truc. Bref, je ne me suis jamais lancée là-dedans, essentiellement parce que mes personnages ne rêvent pas. Oui, parmi l’arsenal des astuces fictionnelles pétées, je n’utilise pas celle-là. J’en ai d’autres, hein. Mais pas celle-là. 

mullholland drive

J’aime pas qu’on me balade

Bref, tout est question d’intention. Je râle suffisamment souvent sur les triches d’écriture pour que vous ayez bien saisis que je déteste ça. Le deus ex machina pété, la drogue ou les problèmes psys qui permettent de faire faire au personnage un acte qu’il n’aurait aucune raison d’accomplir. Leur incroyable stupidité, parfois. Ou le fait qu’un thriller était en fait une histoire fantastique mais on a oublié de te le dire donc tu pouvais pas deviner la fin. Le rêve est une façon trop facile de ne pas assumer ce que l’on raconte ou de tromper l’audience pour la plonger dans une tension factice. L’onirisme est un outil compliqué à manipuler quand on veut le faire avec sérieux. Cf Lynch, évidemment ou le très bon Sleepwalker, un thriller suédois de 2000. Voire même Sang chaud pour meurtre de sang froid qui a une dimension intéressante sur l’interprétation des rêves. Après, celui-là, j’ai peur de le revoir car j’en ai un bon souvenir mais j’avais un bon souvenir de Basic Instinct et quand je l’ai revu…

Sang chaud pour meurtre de sang froid

A mon prochain rêve

En attendant, je terminerais bien cet article en vous disant que je vous laisse pour une petite sieste mais vu que je ne suis plus au chômage, j’attendrai cette nuit pour rêver. 

Nina

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