Raconte moi des histoires

Pour bien raconter les histoires, il faut aussi savoir les écouter

Une narration déstructurée

2002, dans un préfa de la fac du Mirail. Rapport au fait que la fac a été à moitié rasée par AZF. Jeune masterante, je suis en réunion avec mes camarades et notre directeur de maîtrise. On parle de l’avancée de nos travaux et des plans que l’on envisage d’adopter. Et là, le maître nous délivra une vérité “si le plan chronologique est le plus adapté, ne cherchez pas à faire du thématique à tout prix, restez logique”. Je suis bien d’accord avec lui et justement, c’est mon thème du jour. Une histoire, c’est un début, un milieu et une fin mais certains aiment adopter une narration déstructurée. Pourquoi pas mais si c’est pour un résultat confus…

Une narration déstructurée

Des tas de fiction aiment la narration déstructurée

Des exemples de cette narration déstructurée, j’en ai pléthore. Les séries coréennes aiment pas mal ça et nous balancent direct l’événement fatal de la série. Dans The Penthouse, on débute direct par Su-Ryeon qui assiste à la chute mortelle d’on ne sait trop qui mais la fameuse chute aura lieu trois épisodes plus tard et on découvrira dès lors l’identité de la victime. Idem pour Mine qui débute sur la découverte de deux corps dans une très belle demeure puis retour arrière. On a cette méthode de teasing aussi dans les romans de Victoria Hislop où le premier chapitre est un bout du chapitre central sauf que tu sais pas qui est concerné et pourquoi. C’est même repris dans le sketch des clichés de cinéma de Studio Bagel. “Mais comment je suis arrivé là, je vais vous expliquer”. Et puis y a le masterpiece Cloud Atlas qui mêle les époques. Avec plus ou moins de succès, on ne va pas se mentir. Ou Eternal Sunshine of the spotless mind.

Eternal sunshine of a spotless mind

Nous perds pas gratos !

Sur les deux derniers exemples, la narration déstructurée fait tout à fait sens et le réalisateur nous laisse quelques repères pour nous aider à comprendre où on en est. Même dans la série Vortex que je viens de terminer, le look des personnages t’aide à comprendre où on en est puisqu’on voyage entre deux époques. La narration déstructurée, ça peut être plutôt un bon parti-pris… si c’est bien géré. Parce que tu peux décider que raconter une histoire en mode “début-milieu-fin”, ça t’ennuie. Pourquoi pas. Mais il faut que ça ait du sens et surtout, surtout, que ça ne perde pas ton audience. Parce que plusieurs fois sur Mine, je ne savais pas si la scène que je regardais se passait avant ou après le drame. C’était un peu fait exprès d’ailleurs et ça m’a un peu agacée. Ne me déroute pas gratos si tu ne vas rien faire derrière.

Alice est perdue

Une petite mise en bouche ?

Pour reprendre les exemples précédents, une narration déstructurée peut permettre une mise en bouche à l’audience. L’histoire, c’est celle-ci mais va me falloir un peu de temps pour la mise en place donc je te donne un avant-goût pour te faire comprendre de quoi il va retourner. Un teasing dans la langue de Beyonce. Sauf que le teasing, c’est comme tout, ça se manie avec précaution. C’est délicat le teasing. Tu dois tout vérifier dans le moindre détail sinon ça peut virer au… spoiler. Genre ces fictions qui nous donnent d’entrée de jeu une vue du plat principal aiment bien nous faire croire que ça va enfin arriver. C’est là, c’est maintenant ! Ah non, hihi, je t’ai bien eu ! Sauf que pas vraiment car ta grande scène teasing se passe en pleine nuit et là, c’est le jour… 

Coucher de soleil à Soulac

Une tentative de fausse piste ?

Le teasing peut aussi être l’occasion d’envoyer sur une fausse piste. Dans la dernière saison de The Walking dead, un teasing nous montre un Daryl fidèle soldat du Commonwealth, qui a l’air même chef d’escadrille ou je ne sais quoi. Mais comment on est-on arrivé là ? Et bien… allez regarder si ce n’est pas fait. Je ne vous jetterai pas la pierre, j’ai toujours pas fini la saison 11. Pas mal de séries américaines aiment bien ce procédé genre un épisode débute sur un truc tonitruant genre personnages qui arrivent à l’hôpital en panique. Puis “15 heures plus tôt”. Pendant tout l’épisode, tu trembles car tu crois qu’il s’est passé un truc terrible mais finalement… le mec s’est juste foulé la cheville. La dernière saison de Dynastie a joué là-dessus en débutant par un enterrement. Qui est mort ? On voit Fallon pleurer donc on sait que ce n’est pas elle. Au fur et à mesure de la saison, on découvre d’autres personnages à ses côtés. Qui qui qui mais qui… ? 

Dynastie,dernière saison

Stimuler l’imagination

La narration déstructurée est donc une méthode efficace pour faire marcher l’imagination de l’audience qui va chercher à anticiper la révélation. Je sais que quelqu’un va être tué mais je ne sais pas qui et je dois tenter de le deviner. Typiquement Big little lies avec toute une foule de personnages secondaires qui débarquent au commissariat de police témoigner sur un meurtre. Enfin, témoigner… raconter des ragots totalement lambdas qui n’ont rien à voir avec l’histoire. Alors, certes, ça noie l’identité de la personne décédée mais pourquoi tous ces gens viennent raconter des trucs insignifiants sur d’autres ? “Ah oui, Janine… une petite peste égocentrique qui s’est fait pas mal d’ennemies parmi les parents d’élèves”. Super mais du coup, si Janine est la suspecte principale, ça va pas nous aider. Si elle est la victime non plus vu que je ne pense pas qu’on tue un parent désagréable de l’école maternelle de son mioche. Du coup… les flics de cette bourgade ont bien du temps à perdre, ma foi.

Big little lies

Une astuce un peu nulle si c’est juste pour créer du suspense

Mais souvent, la narration déstructurée déçoit. Soit parce qu’elle te perd gratos et c’est agaçant. Soit parce qu’elle te survend pas mal de trucs et tout le monde sait ce que ça fait, les promesses non tenues. Ah, mon teasing t’a fait croire que Jonathan était gravement blessé ? Hé non, en vrai, c’était du vin qu’il s’était renversé sur lui, pas du sang, ahahah. Oh bon sang. Le pire, c’est que ce procédé est souvent utilisé dans des séries qui ont déjà largement abusé de ta patience. Genre Manifest que j’ai regardé jusqu’au bout parce que… je ne me respecte pas. Et que j’étais fascinée par le niveau d’acting, aussi. Bref, tout parti pris narratif doit avoir du sens et pas juste un “sinon, c’est trop attendu”. Si tu as besoin de ce genre d’astuces pour intéresser ton audience, c’est peut-être que l’histoire de base ne tient pas bien la route, finalement. 

Nina

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