Compliqué ce titre. En ce moment, je vais pas mal au cinéma. After Yang, Junk Head, La traversée que j’ai pas chroniquée… Et quand vous lirez cet article, j’aurai vu Le visiteur du Futur en avant-première aussi. Et à venir prochainement : Vesper Chronicles, Don’t worry Darling et si j’arrive à le choper avant qu’il ne quitte l’affiche : Decision to leave. Je me suis un peu éloignée des productions coréennes ces derniers mois mais je vais sans doute y revenir. Tout ça pour dire que vendredi soir, je suis allée voir Nope. Et j’ai encore pris une jolie leçon d’écriture avec une belle utilisation du foreshadowing.
Un ranch attaqué
L’histoire en rapide. OJ vit seul dans le ranch familial depuis la mystérieuse mort de son père. Il élève des chevaux pour les productions Hollywoodiennes, aidée par sa soeur Esmerald, une femme aussi exubérante qu’OJ est taciturne. Un soir, alors qu’OJ sort dans la nuit pour récupérer un cheval, il aperçoit quelque chose d’étrange dans les nuages. Les phénomènes s’intensifient jour après jour. Il faut se rendre à l’évidence : il y a une entité extraterrestre qui se planque dans les nuages et prend le ranch pour cible.
Un travail subtil
Mon avis, tout aussi rapidement : c’est très bien écrit et réalisé. La menace apparaît petit à petit. Furtivement d’abord puis de plus en plus clairement alors que les attaques s’intensifient. Le film est généreux en tension, j’ai passé le film planquée dans le col de mon t-shirt. Mais il reste subtil dans son horreur. On est avant tout dans un film d’ambiance et de tension. Ne vous attendez pas à du dégueulasse, il n’y en aura pas. Les jumpscares sont rares et plutôt bien amenés, toujours justifiés. Bref, c’est un film qui prend au tripes sans abuser de grosses ficelles genre la connerie des personnages ou du sanguinolent gratos. Bref, Nope, c’est à voir.
Un film qui récompense le spectateur attentif
Mais ce qui m’a le plus plu dans ce film, c’est le foreshadowing. Qu’est-ce que le Foreshadowing, allez-vous me demander ? C’est un procédé narratif qui glisse des indices sur ce qu’il va se passer dans le récit, des sortes de clin d’oeil qui ne semblent pas importants dans le récit mais qui auront du sens dans l’oeuvre globale. Et non, ce n’est pas un fusil de Tchekhov. Un foreshadowing assez connu, surtout si vous regardez Karim Debbache, se trouve dans la première scène de Gremlins où on aperçoit une voiture accidentée dans une lumière clignotante rouge. La voiture accidentée est une Gremlin et cette simple image annonce le chaos à venir. Il y en a un aussi dans Ghostbuster. Quand les oeufs de Dana éclatent dans sa cuisine, ils sont posés juste à côté d’un gros paquet de guimauve… Dont le logo est le gros monstre que nos quatre chasseurs de fantôme vont devoir dégommer à la fin du film. Ce sont des clins d’oeil faits pour remercier le spectacteur attentif mais qui n’ont aucune incidence sur la narration.
Semer ses cailloux avec soin
Et Nope en est rempli. Le film prend son temps pour se mettre en place. Certains diront trop. Mon mec a trouvé ça un peu long, ça ne m’a pas particulièrement dérangée. Il y a quelques scènes qui paraissent un peu inutiles, des dialogues qui semblent juste là pour allonger la sauce. Notamment la partie autour de Jup, incarné par Steven Yeun de The Walking Dead que j’étais contente de revoir. Mais non, le film sème ses petits cailloux, tranquillement. Rien n’est gratuit. Et je pense être loin d’avoir tout relié. Par exemple, je n’ai pas été particulièrement attentive à la musique. Elle participe totalement à l’ambiance et ça ne m’étonnerait pas qu’il y ait un truc genre “ah, c’est le titre “A mysterious thing in the sky” du groupe UFO parce que y a un truc extraterrestre dans le ciel, clin d’oeil !”.
Comme un jeu d’observation
Et ça me titille pas mal, cette histoire. Depuis quelques mois, je lambine un peu sur la réécriture d’Augura. Comprenez : j’en ai pas foutu une ramée, j’y ai pas touché depuis qu’on a quitté Paris ou à peu près. J’ai de très bonnes excuses, sans doute. La vérité, c’est que j’ai un peu peur d’être déçue. Sauf qu’après le visionnage de Nope, j’ai comme une idée. La réécriture a un énorme avantage : je sais ce qu’il va se passer. Je le sais très précisément. A partir de là, il peut être fort amusant de disséminer quelques petits clins d’oeil. Rien qui ne paralyse l’histoire. Si tu le vois, c’est gratifiant. Si tu le rates, ça ne gâche pas la compréhension de l’histoire. En tant qu’écrivaine, ça m’amuse. J’aime bien, déjà, essayer de glisser des petits clins d’oeil à droite, à gauche. Des trucs qui ont du sens pour moi. J’avais découvert ce procédé avec X-files où y avait des trucs de type “l’heure sur le réveil, c’est la date de naissance du réalisateur”. Y a 9 chances sur 10 que les spectateurs ne s’en rendent pas compte. Mais c’est comme une petite signature. Une discrète trace de doigt sur une photo pour dire que c’est bien nous qui avons fait ça. Un clin d’oeil de soi à soi.
Un bonbon pour les cinéphiles
En fait, Nope est calibré pour les cinéphiles. Je n’en suis pas une mais je capte la démarche. Tu le visionnes une première fois pour l’histoire, qui se suffit parfaitement à elle-même. Puis tu le regardes une nouvelle fois pour choper les foreshadowings. Une troisième fois pour en repérer de nouveaux, etc. Un peu comme Mulholland Drive, film que je cite trop souvent et qui mériterait un article tant tu peux pas te contenter d’un seul visionnage pour recoller les morceaux ensemble. Il y a un peu de foreshadowing dans Mulholland Drive, même si ce n’est pas le seul procédé narratif utilisé. Mais si Mulholland drive peut avoir un effet épidermique sur des spectateurs agacés de ne rien comprendre, Nope peut se regarder sans se faire des noeuds au cerveau. L’histoire suffit à passer un bon moment, le nez caché dans son t-shirt. Je sais pas pourquoi je fais ça, une version vestimentaire du visage caché sous la couverture, j’imagine.
Un bien joli film
En fait, Nope, c’est une glace avec supplément chantilly. La glace se suffit à elle-même mais la chantilly apporte un petit côté réconfortant, un petit goût en plus. Et je pense que je serai la seule à comparer ce film à une glace supplément chantilly… En tout cas, je remercie Jordan Peele pour son travail tout en subtilité qui a réjoui une non-cinéphile comme moi. Il y a du suspense, de l’angoisse, de la beauté, aussi. Les pièces du puzzle se mettent tranquillement en place et quand vous captez le procédé, c’est parfaitement gratifiant.