Raconte moi des histoires

Pour bien raconter les histoires, il faut aussi savoir les écouter

Leçon d’écriture 1 : ne pas s’auto-spoiler

Je vous l’avais promis, nous allons aujourd’hui parler d’un des pires romans qu’il m’ait été donné de lire. Ou plutôt de ce que j’estime des défauts rédhibitoires parce que bon, le roman en lui-même, je vais vous le résumer en deux lignes : un parti genre FN gagne les élections de mai dernier. L’héroïne Michelangela dite Mickey (…) est déportée en tant qu’opposante politique sauf qu’en fait non. Elle a juste autopublié un roman pourri sur sa liaison avec Emerald, petit fils de la famille Labenne (Labenne, La benne, Le Pen… vous suivez ?) mais en vrai, c’est pas un vrai camp de concentration. C’est un plan tordu de Emerald. Et je vous spoile rien, l’autrice vous raconte ça elle-même. Oui, je n’avais jamais vu ça mais l’autrice torpille son suspense à s’auto-spoiler toutes les 10 pages.

L'imbécilité de s'auto-spoiler

De la difficulté de ménager son suspense

Un exercice particulièrement compliqué dans l’écriture, c’est de ménager son suspense. On doit amener son lecteur là où on veut qu’il aille. Mais il faut lui placer subtilement un bandeau sur les yeux pour qu’il ne devine pas la destination. C’est le cas des polars et autres thrillers mais pas que. Dans un roman, si je sais comment ça se finit, mon enthousiasme sera somme toute relatif. Sauf quand c’est bien écrit, ce qui n’est absolument pas le cas dans le roman qui nous occupe aujourd’hui. On y reviendra. Donc ici, on suit le périple de Mickey dans un camp de concentration. Elle suit une sorte de cours de propagande quand une élève se rebelle et est tuée. Là, c’est la tension, tu te dis “ah Merde, ça rigole pas… tu peux flinguer l’héroïne du coup ? Elle est vraiment trop stupide”. Sauf que juste après, l’autrice t’explique sans trembler qu’en fait, elle apprendrait que tout ça, c’était du chiqué et que personne n’est mort. Le camp est un coup monté et que la fille n’est pas morte. Pardon ? Alors certes, on me dira que c’est juste déplacer le suspense de “Mickey va-t-elle survivre au camp” à “mais pourquoi il a fait ça Emerald ?”… sauf que l’enjeu n’est pas tout à fait le même. Et la raison est absolument merdique en plus.

Papy fait de la résistance
Oui, j’allais pas mettre une photo de camp de concentration en illu, j’ai préféré Papy fait de la résistance

Repose ce fusil de Tchekhov

Autre point : les fusils de Tchekhov. Pour ceux qui ne regardent pas Karim Debbache que je cite très souvent, petite explication. Tchekhov expliquait que si l’on évoquait dans l’acte 1 la présence d’un fusil, il doit servir dans l’acte 2 ou 3. Sinon, il est inutile de le mentionner. Ici, l’autrice nous en saupoudre à droite, à gauche… Mais à l’arrivée, le fusil est enrayé. Exemple : elle évoque un garde qui a une sorte de grain de beauté au coin de la bouche. Quelques pages plus loin, elle se retrouve en réception chez la nouvelle Présidente de la république et repère un mec qui a un bout de peau près de la bouche. “Mmm, il me dit quelque chose ce garçon”. Comme on n’est pas trop cons, on percute de suite qu’il s’agit du gardien… D’autant plus que tu sais déjà que toute cette histoire de camp n’était qu’une mise en scène. Mais le pire, c’est qu’après avoir insisté sur cet homme et son bouton à la bouche, elle n’en fait rien. Pourquoi ? Elle fait l’effort de changer de vocabulaire pour parler de ce grain de beauté. Volonté de nous perdre ou de nous faire comprendre que l’héroïne ne percute pas ? Etions-nous censés faire le lien ? Je suis perplexe… On répète : si tu mets un fusil en évidence dans l’acte 1, il doit servir dans l’acte 2 ou 3 sinon, jette. Un fusil de Tchekhov mal géré, ça crée plus de confusion que nécessaire dans l’esprit du lecteur.

Quand c'est la confusion
I Don’t Know

Se désamorcer avec acharnement

Du coup, on se retrouve avec un roman qui te présente une histoire avec un gros enjeu (l’arrivée d’une potentielle dictature en France) mais qui se désamorce lui-même toutes les 10 pages. Ah et il faudra que je vous parle du ton, aussi. A suivre !

Nina

3 réflexions sur « Leçon d’écriture 1 : ne pas s’auto-spoiler »

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