Vraiment, ça m’échappera toujours. Récemment, j’ai lu Les vieux ne parlent plus, un roman au personnage assez détestable. Assez comme “le mec représente absolument tout ce que je déteste dans la vie”. Quinquagénaire flambeur, prétentieux, libidineux et méprisant, surtout avec les femmes. Dégueulasse. Mais le pire, c’est que je crois que l’auteur le méprisait à peu près autant que moi. Et la question qui me chatouille les neurones : pourquoi écrire un protagoniste antipathique ?
Ecrire pour se défouler, c’est ok
Revenons aux origines de l’écriture. Pourquoi écrit-on ? Pour mille et unes raisons, certes. Ca peut être pour coucher une histoire qui nous trotte dans la tête, purger un peu son imagination. Ou se défouler. J’aime l’écriture exutoire, celle que je tape à toute vitesse, limite la bave aux lèvres. On peut écrire des lettres de vidange ou un journal intime particulièrement salé. Mais on peut aussi écrire des fictions vengeresses, pour le plaisir. Genre là, je pourrais passer du temps à écrire une fiction sur la chute de la boîte qui nous a rachetés et qui nous cause tant de malheurs. Mais je vais surtout passer du temps à chercher une issue de secours. Je pourrais écrire une fiction sur une super héroïne de la nuit qui déglingue les voitures garées sur le trottoir dans son quartier parce que ça commence à dégénérer. Mais j’avoue que ce doit être aussi peu intéressant à écrire qu’à lire. Mais voyez l’idée. Tout écrit n’a pas vocation à être partagé voire publié.
Bonjour, je déteste mes personnages
Et puis il y a ces romans qui suintent le mépris pour ses personnages. Dans Les vieux ne parlent plus, l’auteur va nous asséner plusieurs archétypes en terme de personnages et, bonne nouvelle, il les déteste tous. Le fameux avocat libidineux mais aussi la journaliste, présentatrice vedette, prête à tout pour réussir. Ou le militant des droits de l’Homme qui s’exprime mal, vit dans une maison moche et patauge dans le complotisme. Généreux, le roman. On n’a pas un protagoniste antipathique mais trois. Et c’est pas mieux pour les personnages secondaires dont un Ministre et un juge de peu de valeurs. Que tu écrives ça parce que tu détestes les gens, je peux comprendre. Moi-même, je songe de plus en plus à l’hermitisme. Mais que ce soit publié, ça, par contre…
Je me fiche de ce qui va t’arriver
Parce que le protagoniste antipathique a un défaut majeur : tu ne peux pas ressentir d’empathie pour lui. Dans Les vieux ne parlent plus, notre avocat libidineux connaît sa chute. Et là, je me questionne : que suis-je censée ressentir ? Qu’attend l’auteur de moi ? De la compassion ? Ou une joie malsaine devant les malheurs de quelqu’un que j’estime peu ? Qu’est-ce qu’a ressenti l’auteur pour son personnage ? Etait-il heureux de lui faire du mal ou avait-il sincèrement de la peine pour lui ? Ca, vraiment, j’en doute. Du coup, j’ai l’impression que ce roman n’était qu’une fable de l’arroseur arrosé et que les sujets graves qu’il essayait d’aborder ne servaient que de prétexte que pour se moquer d’un bouffon fier de ses succès.
Flatter les vils instincts de l’audience
Ca pose deux questions. La première, c’est celle de la méchanceté de l’audience. Celle qui est de plus en plus présupposée, j’ai l’impression. Y a qu’à voir ce qu’est devenu la téléréalité : une collection de moments gênants avec des candidat·es que l’on choisit surtout pour leur agressivité et leur soif de reconnaissance qui les pousse à dire ou faire nawak. Tout ça pour offrir aux spectateurs des moments purs de crasse humaine pour nous faire sentir plus beaux, gentils et intelligents. Personnellement, je trouverais plus sain que l’on se construise une confiance en nous basée sur des réussites, des ressentis, de la bienveillance. Et pas sur la comparaison avec des personnes mises plus bas que terre pour quelques euros. Sauf que j’ai un peu raté cet ascenseur des instincts vils. Oui, il m’arrive de regarder des séries avec une certaine méchanceté comme Les veuves du jeudi ou Penthouse, par exemple. Même si je n’ai pas eu la sensation qu’on me demande un brin de compassion pour les personnages. Par contre, j’ai détesté Succession car j’ai trouvé les personnages bêtes et méchants et je n’ai pas réussi à m’attrister de leurs malheurs.
Une question de dosage
Autre point qui me paraît le plus crucial sur la question du protagoniste antipathique : le fait que j’ai pas envie de suivre ces personnes-là. Il y a peut-être une question de dosage et de point de vue. Dans Les veuves du jeudi, l’histoire nous est racontée par Mavi. Qui a ses défauts mais qui n’est pas dupe. Elle sait que de vivre à Los Altos de las cascadas ne fait pas d’elle quelqu’un de si particulier que ça. Il y a aussi les enfants qui font un peu redescendre les délires mégalos des personnages. Dans The Penthouse, tu as aussi des personnages doux comme Su-Ryeom ou Bae-Rona qui te donnent quelques pauses dans la détestation de ces personnages. Alors que dans Les vieux qui se parlent ou Succession, ils sont, in fine, tous bêtes et méchants et aucun ne mérite ta compassion. Et le souci, c’est que je croise suffisamment de connards et connasses dans la vraie vie pour ne pas avoir envie de me les taper aussi dans les fictions que je lis ou regarde.
Sans aucune nuance
Bref, le trick du protagoniste antipathique, je ne l’ai pas. Est-ce moi qui ai du mal avec la pure méchanceté ou qui suis trop chiche dans la distribution de mon empathie, je ne sais pas. Certains vont y trouver une douce jouissance, un défouloir après une mauvaise journée et pourquoi pas. Mais quand même, ce manque de nuance… Est-ce là tout ce qu’on a à nous offrir ? Doit-on se contenter de ça ? J’espère que non.