Ok, il est possible que la lecture de Les vieux ne parlent plus m’ait un peu agacée par ses travers. Donc après la question du protagoniste antipathique, laissez-moi vous présenter une critique de l’écriture sarcastique. Parce que là aussi, ça me chauffe un peu. Non que je sois contre la caricature dans l’absolu, au contraire. Mais souvent il manque un peu de mesure.
La caricature, c’est rigolo
Sur le principe, j’aime les œuvres sarcastiques. Genre Don’t look up où la caricature du pouvoir politique, des figures de la Silicon Valley ou des médias était totalement assumée. Les veuves du jeudi où les riches mâles blancs correspondaient 100% aux clichés que j’en ai. Testosterror, une BD de Luz qui se paie le mâle blanc pseudo alpha un peu crétinos. Alors pourquoi l’avocat blanc quinquagénaire libidineux et trop sûr de lui de Les vieux ne parlent plus m’a autant fait lever les yeux ? Surtout qu’on ne va pas se mentir : des mecs comme ça existent.
Se moquer des clichés
Sans doute a-t-il manqué d’un contrepoids. Dans Testoterror ou Don’t look up, certains personnages haussent les sourcils devant de telles caricatures. Voire se moquent d’un tel absolutisme dans le cliché. Un peu comme nous. Moi-même, il m’arrive régulièrement de me moquer de ce qui pourrait être cliché chez moi. Genre l’autre jour, je suis allée en vélo chez Jardiland acheter des plans de tomates et de fraises. Allo la bobo. J’ai peut-être même préparé un plat à base de quinoa après ça. Bon, ce point là, je garantis pas mais je mange régulièrement du quinoa. Pas parce que je suis bobo, juste parce que j’aime ça. Evidemment que dans la vraie vie, certaines personnes sonnent plus caricaturales que leurs propres clichés. Des personnages sans nuance que, si tu les racontais en mode brut de pomme dans un roman, on te reprocherait d’y être allée un peu trop fort sur la caricature.
Un poids sur l’autre plateau de la balance
C’est là qu’on mesure l’importance de la nuance et du contrepoids. Dans Les vieux ne parlent pas, il n’y en a pas. Tous les personnages que l’on te jette au visage sont des caricatures. Tous. Tu n’as pas un gramme de nuance. On est à la limite de la pièce de théâtre pour enfants où tout est grotesque. Et encore, je suis tout à fait persuadée que des enfants de primaire pourraient saisir qu’ils y vont trop fort. L’écriture sarcastique ne peut fonctionner que si d’autres personnes font quelques remarques sarcastiques, justement, sur le côté cliché de l’archétype caricaturé. Dit comme ça, on dirait presque que je plaide pour un roman “prêt à penser” où l’auteurice expliciterait ce que l’on doit penser du personnage. Non l’idée, c’est plus… que l’auteurice nous rassure sur le fait qu’il sait ce qu’il fait et que le trait est grossi exprès.
Facilité d’écriture ou vraie satire ?
Revenons-en à Don’t look up parce que mon appréciation du film est arrivé justement à l’utilisaton de ces contrepoids. Sur les premières minutes, la première demi-heure ou la première heure, je ne me souviens pas exactement, j’ai un peu grincé des dents. Non mais ok, téma le film cliché, je m’apprêtais à écrire un article “pourquoi don’t look up est l’exemple parfait de la facilité d’écriture”. Et puis le premier contrepoids arrive avec le personnage de Jennifer Lawrence qui ne rentre pas du tout dans le système que l’on nous présente. Jen, c’est la voix de l’audience. Vous savez, quand on consomme une fiction, on a parfois envie de crier ou secouer un personnage tellement il ou elle prend les mauvaises décisions ou se fait trop maltraiter pour rien. Ou en tout cas, c’est écrit de telle sorte que l’on ressent ça. Dans Don’t look up, Jennifer Lawrence réalise cette envie. Elle crie, littéralement, sur les personnages pour essayer de les rationaliser. Elle n’y arrive pas, certes, mais on comprend dès lors que les caricatures qui nous sont servies servent une écriture sarcastique. Et non pas que les auteurices voient le monde sans aucune nuance ou recul.
Cliché sur cliché, ça s’annule pas
Dans Les vieux ne parlent plus, il y a certes un contrepoint. Un personnage à l’exact opposé de notre avocat libidineux et… c’est lui-même une totale caricature. Pire, à un moment, cet antagoniste explique le péché de notre avocat, ce qui le mènera à sa perte : il a une jaguar. Oh damned. Bon, en vrai, c’est surtout “t’es trop bling-bling, tu te fais trop remarquer”. Donc si je résume : notre héros, pour qui je suis censée ressentir de l’empathie à un moment, est un parfait trou du cul. Il couche avec des gamines parce que son pouvoir le lui permet. Il méprise environ tout le monde parce qu’il est plus intelligent. Et il arnaque des vieux dont ils se débarrasse au moment opportun. Mais le seul péché qui le fera chuter, c’est qu’il étale son fric ? Genre si tu fais tout ça dans l’humilité, ça passe ? Et l’auteur offre en plus une happy end sans aucun sens à ce personnage. Bon, ce dernier chapitre, pour moi, c’est un équivalent de Lost, une sorte de délire pré-mortem mais rien ne l’explique. C’est juste ma théorie. Parce qu’on passe littéralement de “le héros est aux abois” à “il est sur une plage paradisiaque avec sa mère et le personnage féminin alors qu’ils se méprisaient encore y a trois minutes”. Je suis pas éditrice mais y a quand même quelques trucs que je ne pige pas.
Si tu doses pas, c’est indigeste
Bref, on a forcément envie de céder à l’écriture sarcastique, croquer des archétypes de la société qui nous agacent un peu. Le problème, c’est qu’il faut doooooser. Je sais pas si vous avez vu Problemos, par exemple, mais c’était un enfer ce film. Tout y était pourtant : des personnages caricaturaux contrebalancés par des personnages plus neutres. Enfin, un personnage neutre en la personne de Jeanne qui découvre un univers sans le juger. Ou sans chercher à forniquer avec une gamine de 18 ans un peu idiote. La caricature aurait pu être juste féroce, elle est de fait méchante et plutôt de mauvaise foi. On sent que les scénaristes, dont Blanche Gardin, avaient quelques comptes à régler avec les zadistes et autres écolo-bobos. Le souci est souvent d’ériger en norme le cas très spécifique de parents écolo-bobos qui ont décidé de pas genrer leur gosse et oups, ça finit par devenir compliqué. En gros, Problemos est une caricature de certaines capsules de Brut ou Konbini. Sans la subtilité d’écriture d’un Broute, par exemple. Parce qu’il n’y a rien qui désamorce. Les zadistes écolo-machin sont juste des cons crédules. Les gamines de 18 ans ne rêvent que de gloire et de devenir influenceuses ou star de la téléréalité. Le même archétype qu’on retrouvait d’ailleurs dans Big bug avec le personnage de Jennifer qui était totalement raté. Et je suis persuadée que le manque de subtilité dans l’écriture de Big bug est pour part importante de l’échec critque du film. Même si moi, j’avais bien aimé. Plus parce que j’étais très attachée au côté anticipation qu’à la justesse d’écriture des personnages.
Régler ses comptes, ok, mais mollo…
Bref, l’écriture sarcastique est un plaisir car elle nous permet de régler nos comptes avec certains archétypes “de la vraie vie”, qu’on a du mal à voir en peinture. Ok. Cependant si tu veux pousser cette écriture à autre chose qu’un journal intime qui restera entre toi et toi, faut un peu doser. L’écriture d’une fiction, c’est comme une recette. Si tu mets trop de sel, ça va vite devenir immangeable.