Raconte moi des histoires

Pour bien raconter les histoires, il faut aussi savoir les écouter

Une main légère sur les détails

C’est l’heure de la session d’écriture. Calée devant mon clavier, je traduis en mots ce qu’il se passe dans ma tête. Deux personnages dans une pièce. Ils discutent. Il y a mille façon d’écrire ce simple fait. On peut parler de leur position, de leurs vêtements, du ton de leur voix, de la lumière. Peut-être même une odeur, un son. Bref, on va fournir des détails à l’audience pour qu’elle puisse se projeter dans notre univers. Sauf que… trop de détail tue-t-il le récit ?

Un tableau d'Erró riche en détails

Je n’ai jamais été une grande fan des descriptions. Sans doute parce qu’au lycée, on a dû lire deux romans du XIXe siècle et qu’à l’époque, ce fut une tannée. Il y avait un livre au choix et je ne me souviens absolument pas de ce que j’ai choisi puisque je ne l’ai pas lu. Madame Bovary ou Eugénie Grandet, je dirais. Puis la prof a réinsisté avec Le rouge et le noir. Que je n’ai pas lu non plus mais j’ai réussi à choper un 12 à l’interro. Je ne sais plus bien comment j’avais gratté les infos sur le livre vu que je vous parle d’un temps où Internet n’était pas disponible dans tous les foyers. Pas dans le mien en tout cas. Mais cette littérature-là, très généreuse en looooongues descriptions, me faisait tomber les livres des mains. 

S'endormir avec un livre

J’ai le souvenir aigu de Notre Dame de Paris de Victor Hugo. Emballée par la comédie musicale du même nom, je décide de lire ce chef d’oeuvre de la littérature française et… Omagad, le début mais le début. Les trois chapitres sont constitués de descriptions et la jeune lectrice que j’étais à l’époque avait décrété qu’elle n’avait pas le temps pour ça donc j’avais commencé le roman au chapitre 4, environ. Et je me souviens encore avoir sauté des longs paragraphes de ce type. Aujourd’hui, la littérature du XIXe, je l’écoute, pour l’essentiel. Je me suis fait Madame Bovary et Le Bonheur des Dames récemment. Ca enchante mes séances cuisine du dimanche. Oui, le dimanche, je cuisine pour la semaine. Par contre Le Rouge et le Noir, je l’ai lu et c’était vraiment bien. Faudra un jour discuter des lectures imposées à l’école. Ou pas parce que je ne suis pas prof de français donc mon avis risque d’être très peu pertinent.

Les livres profil pour comprendre la littérature
C’était tellement bien fait les Profil

Plus récemment, j’ai lu deux livres qui m’ont tous les deux interpellés dans leur sens des détails. L’un négativement et l’autre positivement donc je me suis dit “voilà un sujet pour mon blog”. Le premier, j’en ai déjà parlé au sujet du Syndrome Julie Lescaut, c’est Fermé pour l’hiver, un polar norvégien pas fou. Je ne sais pas pourquoi mais l’auteur se piquait parfois de nous donner luxe de détails sur… des choses parfaitement insignifiantes. Le personnage principal, un commissaire d’Oslo, part enquêter en Lituanie. Pourquoi pas. Et on a toute une scène où le mec monte dans l’avion, s’installe à la place 17A et mate un peu les gens dans l’avion, dont un gars qui lit le journal. Tu te dis qu’il va forcément se passer quelque chose. Non. Le commissaire a volé pendant deux heures à la place 17A, pas loin d’un mec qui lisait le journal et tout le monde est bien arrivé Vilnius, merci bien. Et on n’a plus jamais entendu parler du mec au journal. 

Vilnius

Une question : pourquoi tu me racontes ça ? Que l’auteur prenne du temps pour décrire Vilnius et l’impression qu’elle génère chez le commissaire, ça fait sens. Il est d’abord charmé par l’aspect moderne de la ville avant d’être troublé par la pauvreté de certains habitants qui lui saute au visage au détour d’une rue. Ca, j’ai aucun souci surtout que ça va l’influencer dans son enquête, créer une empathie avec les Lituaniens. Mais pourquoi tu me racontes son arrivée dans l’avion ou encore le petit déjeuner qu’il prend à l’hôtel ? Petit déjeuner qui n’a rien de remarquable. Personnellement, quand je pars en avion pour des vacances impliquant plusieurs petits déjeuner à l’hôtel, ce n’est pas ce que je vais retenir de mon voyage. Si je parle de mon voyage en avion, c’est parce qu’il s’y passe quelque chose. Le fait d’être assise à la place 17A avec un mec qui lit le journal, ça n’a aucune espèce d’importance. Personne ne retiendra ça de son vol, jamais. Tout comme le fait d’avoir mangé des oeufs brouillés et bu un café à l’hôtel, sauf s’ils sont particulièrement goûtu… ou franchement infects.

Oeufs brouillés

A l’inverse, nous avons Marie Vareilles et son roman “La dernière allumette”. Bon, je vous en reparlerai quand j’aurai fini mais pour le moment, c’est le coup de coeur de l’été. Un de mes graals narratifs, c’est de sonner juste et Marie Vareilles y arrive parfaitement. Et son écriture est riche en petits détails. Des éléments dont on pourrait se dire qu’ils ne servent à rien. Quand elle décrit un personnage, elle précise que son jean est troué. Détail mode, pas détail misère, ici. Mais chaque détail posé me semble plus comme un coup de pinceau qui donne du relief au tableau qu’un gros trait de gouache épais qui alourdit l’ensemble. Je ne peins pas, ça se ressent peut-être au vu de ma précédente phrase. Les détails que distribuent Marie Vareilles ne sont pas là pour caler quelques mots en plus et atteindre le quota pour devenir un roman. Ces détails sont là pour nous donner sa vision précise de ce qu’elle a en tête. Ils n’y sont pas systématiquement. Elle ne nous décrit pas la tenue de chaque personnage en détail. Mais parfois, ils ont un jean troué et parfois, ils se frottent les doigts dans un geste de nervosité.

Signe de nervosité

C’est difficile de peindre un univers réaliste. De faire de personnages de papiers des protagonistes auxquels on croit. Qui ont un visage, une silhouette, une gestuelle. Une odeur, même, parfois. Ca paraît facile d’écrire tous ces éléments.

Martha affectionnait les étoles couleur pourpre qu’elle enroulait grossièrement autour de son cou et imprégnait de son parfum ambré.

Ok, j’écris ça, vous allez peut-être voir une femme avec une étole rouge autour du cou. Mais est-ce que ça va donner une réalité au personnage ? Donner de la chair à son protagoniste oui. Mais à quel moment, ça dérape et ça sonne faux ? Est-ce important que Martha ait cette étole ? Est-ce que je ne risque pas d’oublier ce vêtement signature pour raconter quelques chapitres plus parler de sa nuque ou d’un collier ? Et ce parfum, a-t-il une importance ? Parler de parfum dans un roman n’a de sens que s’il exalte ou s’il active une mémoire olfactive précise. Sachant la puissance de la mémoire olfactive, c’est pas déconnant. Mais si je précise le parfum de Martha, en donnant la marque ou en décrivant l’odeur, il faut que ça ait un sens. On n’est pas dans une pub ou une publication Insta où on name droppe un parfum au pif. En plus, moi, je n’aime pas quand on me dit qu’un personnage sent tel parfum sans le décrire parce que je les connais pas tous et que j’ai pas que ça à faire d’aller chez Sephora sniffer le truc.

grey flannel, un doux parfum

Les détails, c’est de la dentelle. Il faut en user avec finesse et doigté. Faire des points délicats qui se remarquent à peine mais qui, pris dans leur ensemble, constituent un ravissant motif. Je ne fais pas de dentelle dans la vraie vie non plus. Le fait est que quand je me plonge dans La dernière allumette, j’ai des images précises en tête. Des images qui ne brident pas mon imagination. J’ai une image précise de Zoé… qui, pour une raison qui m’échappe, a pris le visage d’Amélie Oudéa-Castera. Cherchez pas, moi non plus, je ne sais pas. Alors que dans Fermé pour l’hiver, les descriptions étaient si lourdes et aléatoires que je sortais littéralement du roman. Je fronçais les sourcils en mode “mmm, s’il insiste autant sur ce détail, c’est que ça doit être important”. Même une place dans un avion ? Je veux dire je sais que l’avion ne va pas s’écraser puisque le roman ne me propose que deux points de vue et un seul va à Vilnius. Ca aurait pu avoir du sens si le commissaire prenait le train et qu’une personne était assise à sa place. En mode “ah, pardon, vous êtes à ma place”. “Ah non pas du tout, c’est la mienne.” “Non, regardez mon billet”. “Ah mais on n’est pas en voiture 17 ici ?”. C’est pas intéressant mais ça a le goût du réel.

Trouver sa place dans le train

Quand j’écris, je suis souvent assez chiche sur les détails. Je ne décris mes personnages que si nécessaire pour laisser à l’audience, certes inexistante, le loisir de donner les traits qu’il lui plaît aux protagonistes. Même ceux d’Oudéa-Castera. Si je prends le temps de donner une couleur, un style, un détail, c’est parce que ça a une importance. Si un personnage est victime de racisme, par exemple, je vais prendre le temps de le typer un peu. Sinon, on va pas comprendre pourquoi quelqu’un fait une remarque agressive sur l’odeur supposée de Blanche Neige ou va lui toucher les cheveux pour voir quelle sensation ça fait. Je vais plus m’attacher à décrire des lieux même si…

Donner des détails pour décrire les personnages

Trop de détails tue la cohérence du récit. Quand j’étais plus jeune, j’avais commencé un roman que des amis avaient entrepris de lire; L’un d’eux m’avait donné un conseil : “Tu devrais mettre quelques noms d’endroit parce que tu dis que l’action se passe à Paris mais on ne le voit pas trop”. Du coup, c’était devenu absurde. Genre un personnage se transformait soudain en mappy “oui alors j’habite telle rue. Pour venir, tu prends le métro 3 puis la 12 et tu descends à Falguière, tu prends à droite…” Ok, on s’en fout. Si le nom de la rue est important, pourquoi pas mais on n’a pas besoin du trajet exact. Genre quoi,  je vais raconter le trajet en métro ? Le bruit des portes qui claquent fort sur la 12, les strapontins qui ne remontent plus, de l’odeur de pisse ? Oui, quand je suis partie de Paris, la 12 avait encore des vieux métros avec la manette pour ouvrir la porte, là. Et si elle prend la 6, je vais parler de l’odeur caractéristique de cramé quand tu arrives à Charles de Gaulle- Etoile ? Ca ne parlera qu’à ceux qui ont pris le métro. Et si je parle d’odeur de cramé sans incendie derrière, ça n’a pas d’intérêt. 

la ligne 6 du métro parisien

Bref, mettre des détails pour donner un sens du réel, oui. Mais à un moment, questionnez-vous : est-ce que ce détail a un sens ? Est-ce quand je monte dans un avion, je suis à ce point attentive à ma place ? Parce qu’une fois installée, je ne vais pas garder cette information en mémoire. Alors pourquoi j’irais l’écrire dans un roman ? 

Nina

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