Raconte moi des histoires

Pour bien raconter les histoires, il faut aussi savoir les écouter

Ecrire une utopie : un optimisme niais voire dangereux

Point d’interrogation. Oui, ce titre est un petit peu alarmiste mais dans le cadre de ma semaine du bonheur, je me pose cette question. On va parler ici de vraie utopie, hein. Pas des fausses qui ne fonctionnent pas si bien que ça. Car oui, il en existe quelques unes, je pense notamment à Ecotopia ou Optima 2121. Sauf qu’en 2023, écrire une fin heureuse pour l’Humanité n’est pas un non-sens absolu, un certain danger, même. Essayons de décortiquer un peu tout ça.

Une vision de l'utopie
(c) Vincent Callebaut

L’utopie est-elle vraiment présente dans la littérature ?

Les utopies sont compliquées à écrire. Essentiellement parce que s’il ne se passe rien, l’audience risque de vite se lasser de l’histoire qu’on lui raconte. Les utopies sont souvent plus des images fugaces. Vous savez, ces images en 3D de villes hyper végétales avec de jolies voitures électriques rondes, où tout est blanc et doux. Bon, déjà, dans une utopie, je ne vois pas ce que vient faire la voiture individuelle mais ne chipotons pas. Dans les deux utopies sus-citées, on n’est d’ailleurs pas dans la bête description d’un système qui fonctionne. A chaque fois, le protagoniste narrateur découvre ces systèmes, les décrit, s’en étonne et, parfois, s’en émerveille. Et Ecotopia a été écrit en 75, époque où la catastrophe écologique en cours était réversible. Et oui, les préoccupations écologiques et la notion de réchauffement climatique, ça ne date pas d’aujourd’hui. Mais paraît qu’on savait pas. Mmm.

Villes utopistes du futur

Dans le futur, tout ira mieux

Pourquoi je précise ça ? Parce que c’est là que j’ai un gros souci avec pas mal de (fausses) utopies que je peux croiser. A chaque fois, tout est rose, tout est beau, l’humanité va mieux, merci. Sauf que… non, c’est plus possible d’écrire ça aujourd’hui. Notre inaction actuelle aura des répercussions dans le futur, quoi que l’on se raconte. Même si vos descendants arrivent à instaurer une utopie, ce sera sur une planète beaucoup plus chaude, avec moins de faune et de flore. On peut pas se contenter d’un “ouf, on a eu chaud”. C’est trop tard. Et si la nature est bien faite et qu’elle se remettra peu à peu du mal qu’on a pu lui faire, ce sera sur un temps très long. Les espèces disparues le seront pour toujours. Et rien n’indique que l’Humanité, malgré sa technologie et ses dômes futuristes, parviendra à survivre. Les dinosaures ont disparu, d’où on a la prétention d’être éternels en tant qu’espèce ? Vraie question.

Dinotopia

Et un jour, l’Humanité sera mature

Mais surtout, ce qui me crispe toujours un peu dans les (fausses) utopies, c’est cette notion de maturité de l’Humanité. Souvent, ces utopies ou fausses utopies partent toujours un peu du même concept. Il y a eu une guerre, un grand bouleversement et les Humains, choqués, ont pris des décisions radicales pour devenir pacifistes. Et on oppose donc l’Humain évolué, apaisé, avec l’Humain archaïque. Même dans Happycratie alors que l’action ne se passe que dans 27 ans. Sauf que non. L’Histoire nous a prouvé que ça ne fonctionnait pas comme ça. Après la seconde guerre mondiale et les charniers nazis, on a chanté partout que “ohlala, plus jamais ça”. Presque un siècle plus tard, les nettoyages ethniques sont toujours d’actualité. La guerre continue de secouer l’Europe, les Etats-Unis continuent leur interventionnisme, l’horloge de la fin du Monde est en panique totale. Je serais plus encline à “croire” une histoire telle que le Grand Bazar de Stephen King où un scientifique agit seul pour sauver l’Humanité d’elle-même que l’apparition quasi magique d’une grande sagesse qui résoudrait tous les problèmes.

Athena, déesse de la sagesse

Une bonne guerre et ça repart

L’écriture de toute anticipation est politique, quoi que l’on en pense. Enfin, toute fiction est politique à la base mais celle-ci particulièrement. Peindre un futur imaginaire, c’est une proposition forte. Cela sert souvent à appuyer sur ce qui ne va pas dans notre société actuelle. D’ailleurs, les dystopies qui se veulent apolitiques et veulent juste raconter une histoire lambda avec juste des voitures volantes sont plus ou moins vouées à l’échec puisqu’on ne comprend pas pourquoi on a mis des voitures volantes qui ne servent à rien. Et pour le coup, je ne parle pas tant du Cinquième élément qui, même s’il pompe pas mal d’idées à droite, à gauche, contient un propos sociétal. notamment à travers la vie assez misérable de Korben Dallas qui va soudain se retrouver propulsé dans les ors de Phlustom Paradise. Raconter qu’une société va se guérir d’elle-même et qu’il n’y a rien à faire, juste à attendre, je ne trouve pas ça très responsable. Surtout si on estime que pour qu’elle se guérisse, faut une bonne guerre où tout le monde va crever. 

Post apo

La technologie ne nous sauvera pas

J’ai toujours trouvé l’écriture de l’utopie assez délicate, même si je suis très tentée d’écrire ma propre version d’une société strictement équitable, intelligente et propre. Donc sans voiture individuelle. Oui, j’ai un vrai problème avec la voiture. Mais cet optimisme forcené à coup de “non mais ça va aller mieux, t’inquiète”, ces jolies sociétés qui fonctionnent à l’énergie solaire, où il n’y a plus d’été, où il n’y a plus d’hiver… Je doute. Déjà parce qu’outre la sagesse soudaine de l’Humanité, il y aussi des promesses technologiques. Oui oh bah, le réchauffement climatique, t’inquiète, on va trouver une solution technique à tout ça. Genre des voitures à l’hydrogène, héhé ! Putain mais arrêtez avec vos voitures, raaaaah ! La technologie qui va nous sauver les fesses, c’est le pire mensonge, le pire. D’abord parce qu’il déresponsabilise tout le monde mais surtout parce que c’est faux. Personne n’est à deux doigts de trouver un truc viable. Le nucléaire qui est censé nous sauver du pétrole et du gaz, on a perdu le savoir. On a régressé ! On n’est plus foutu de bâtir des centrales et celles qu’on a commencent à accuser leur âge. Les navettes spatiales censées nous faire survivre dans l’espace n’existent pas. Aucun Humain n’est allé jusque sur Mars, la planète tellurique la plus proche. D’où vous y voyez la survie de l’espèce humaine ? Et puis je le dis à chaque fois mais au sujet de la technologie qui sauve la Planète, matez Snowpiercer. Le film, pas la série. Faut que je lise la BD d’ailleurs.

Snowpiercer, une dystopie

Tout ne se règlera pas par magie

Bred, écrire une utopie, c’est un exercice extrêmement excitant, intellectuellement parlant. Mais il ne faudrait pas faire croire que tout se résoudra comme par magie, faire preuve d’un optimisme outrancier, voire dangereux. L’Humanité n’est actuellement pas en grande forme et il ne va pas y avoir de miracle pour nous sortir le cul de là. Ne racontons pas naïvement cette histoire. Sans tomber dans l’excès d’un “on va tous crever” non plus mais clairement, si vous avez envie de parler d’une Humanité apaisée et sage… droguez-la. Oh, je ne m’attendais pas à une telle conclusion en écrivant cet article. 

Nina

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