Mais si, tout est politique ! Forcément, on vit dans une saucisse, alors… Samedi 20, je suis allée voir Le visiteur du Futur en avant-première. Film super bien, allez le voir et soutenez le cinéma de genre français. Surtout quand il se la raconte pas avec des plans longs et stylés mais un récit un peu foiré. Avant le film, on a eu droit à une session question-réponse avec deux acteurs du film, Florent Dorin et Vincent Tirel. A un moment, une personne demande si le film a un message politique et Florent Dorin répond que François Descraques (auteur et réalisateur) n’a pas voulu en mettre mais que chacun peut y voir ce qu’il veut. Mmm, une fiction apolitique ? Je doute.
Ecologie, explosion nucléaire et fascisme
Très très rapidement, l’histoire. Un politique français de 2022 signe un accord pour implanter une centrale nucléaire dans sa région parce que c’est le futur et que c’est super pour l’emploi de la région. Comme les jets privés, tu sais… Mais il fait construire une sorte de centrale nucléaire Wish et quand on lésine un peu sur les moyens, ça finit mal. Badaboum, des années après, explosion et apocalypse. Et un voyageur du temps va essayer de changer les choses en convainquant le politique de ne pas signer pour la centrale. Bon suit tout un tas de péripéties avec notamment une brigade temporelle bien fasciste avec des soldats pas toujours très fins et bourrins et de longues discussions sur l’importance de sauver le futur ou le présent, l’économie ou l’écologie… Alors dit comme ça, ça paraît follement politique. Mais…
Un film anti-nucléaire ? Nope.
Florent Dorin a expliqué la genèse du film ainsi “ce qui intéressait François, c’était le cadre d’une fin de monde et il a composé à partir de ça”. Je cite de mémoire. François Descraques étant un produit des années 80, il n’est pas si étonnant qu’il prenne pour base l’explosion d’une centrale nucléaire. Notre enfance, ce sont les films à base de menaces nucléaires soit via des bombes (War games), soit via une intelligence artificielle qui prend le pouvoir et déclenche une apocalypse nucléaire (Terminator). Voire les Simpsons où la sécurité est… mmm. Soit une actualité un peu chargée genre Tchernobyl, au hasard. En tant qu’enfant des années 80, le nucléaire faisait quand même pas mal peur. Et j’ai découvert récemment l’accident de Three Mile Island via Netflix. Mais est-ce que le film nous dit que le nucléaire c’est mal ? Non. C’est là où Dorin a raison de parler de la réception de l’oeuvre. Descraques a cherché une catastrophe déclenchant l’apocalypse et il a choisi… une sécurité technologique sacrifiée sur l’autel de l’économie et de la bonne santé d’une région et d’une entreprise. C’est apolitique ?
Pourquoi le nucléaire ?
Je fais une parenthèse sur ma petite pomme deux minutes. Quand j’ai écrit Green !, j’ai choisi un activisme anti-nucléaire. Mais pas pour prêcher contre le nucléaire en soi. Je ne me souviens plus exactement des arguments de mes personnages (bravo…) mais ça parlait surtout de biodiversité ravagée pour construire une usine. Et quand on voit l’impact écologique de nos centrales nucléaires cet été, comment dire… Mais comme dirait un twittos, mieux vaut tuer des poissons que rouvrir des usines à charbon. Parce que oui, les pro nucléaires, ils te laissent pas le choix : c’est usine à charbon ou nucléaire. Alors qu’en vrai, ce sont les deux vu que notre parc nucléaire n’est pas en très bon état de marche et qu’on n’est pas foutu d’en construire une nouvelle. Mais je m’égare, c’est pas le sujet de l’article. J’ai du mal à être apolitique, on dirait. En vrai, si j’ai choisi la question du nucléaire, c’est purement et simplement parce que j’avais été inspirée par le roman-témoignage de Chaïm Nissim, L’amour et le monstre, roquettes contre Creys-Malville, qui racontait son activisme et les liaisons amoureuso-érotiques entre activistes. Le livre aurait parlé d’un attentat contre un site de forage pétrolier ou gazeux, mon roman aurait suivi le même chemin.
On n’écrit pas une dystopie apolitique
Cependant, on n’écrit pas une dystopie gratuitement. Oui, c’est une sacrée aventure et les enjeux sont colossaux. Je veux dire tu peux faire quoi de plus puissant que de tenter de sauver l’humanité ? Mais une dystopie exacerbe une situation. Tu prends ta société actuelle, tu y mets un piment force 5, ça donne une société cauchemardesque. Et on ne choisit pas le pire par hasard. François Descraques parle de risque industriel lié à des bas-coûts et matériels de mauvaise qualité, des industries qui jouent avec le feu. Après le premier crash du Boeing 737-max, l’avion a continué à tourner alors même qu’une défaillance avait été repérée. 157 morts plus tard, on suspend finalement l’appareil pour apporter les modifications nécessaires. Dans les avions, on a également le cas du DC-10. Alors qu’un problème structurel a entraîné une décompression explosive sur un avion qui a réussi à se poser et que le problème a parfaitement été identifié, il ne sera rien fait. 346 morts. Il ne faut pas voir une volonté de nuire des personnes impliquées. Souvent, on se dit juste que le risque existe mais n’est pas suffisamment élevé pour s’en inquiéter.
Une histoire de combat politique
Et il y a de la fable écologique dans le Visiteur du Futur, matérialisé par l’affrontement de deux générations : le politique, le père et sa fille, une activiste écologiste qui ne ferait pas tâche dans les marches pour le futur. Le choix du nucléaire sert plus le récit qu’un discours politique mais ne nous trompons pas. Le film nous raconte un combat politique. Des combats politiques, même, devrais-je dire. Défendre le futur à quel prix, que doit-on sacrifier entre économie et écologie ? Faux dilemme cependant. Si tu décides d’implanter une centrale électrique dans ta région, peu importe la source, ça créera de l’emploi. Si tu développais un peu mieux le rail, ça créerait plein d’emploi compensant la perte de ceux de l’aviation. Mmm, cet article est beaucoup moins apolitique que prévu.
Un auteur fait partie de la société
Bref, il est impossible d’écrire une fiction apolitique parce qu’il y a forcément un parti pris, un appel. Celui de ne pas laisser faire, de ne pas “laisser tomber” les générations futures. Même si ça nous concernera plus. Même s’il faut faire quelques sacrifices. Après, évidemment, chacun a son interprétation. Quand tu vois que la red pill a été récupérée par l’extrême-droite, je pense que les soeurs Wachowski ont les dents qui grincent sec. Mais une production est par essence politique. Si tu as voulu raconter cette histoire, ce n’est pas gratuit. Par influence, peut-être. Mais je n’irais pas écrire l’histoire d’un groupuscule d’extrême-droite qui prépare un attentat. Ou si je le faisais, j’écrirais dans le jugement de ce qu’ils font. Parce que je fais partie de la société et même en faisant un gros effort d’écriture, j’ai des opinions. Et je n’ai pas forcément envie en plus de soutenir une idéologie mortifère juste pour le défi littéraire.