Ou comment tu t’auto-spoiles en usant d’un cliché plus vieux que nous. Volet 2 de ma série « ce livre écrit par un auteur bien connu et perclus de maladresse d’écriture » surnommé « Une quelconque aventure« . Surtout sur la deuxième partie, en fait. La semaine dernière, nous avons analysé l’étrange omniscience de personnages qui semblaient avoir lu le roman dans lequel ils évoluent. Cette semaine, je vais m’attarder sur un cliché narratif qui m’insupporte : le vieux lascar qui part en mission avec une pensée sur sa famille et qu’il serait temps de raccrocher. Une ultime pensée avant de se lancer et… la suite ne va pas vous étonner.
Les personnages que tu peux tuer
Dans les fictions, tu as deux types de protagonistes, grosso merdo. Ceux que tu peux tuer et les autres. On va rester du côté des gentils parce que les méchants, ils peuvent crever, tout le monde s’en fout. Pour les gentils, il faut créer de l’enjeu. Si tout le monde s’en sort avec une estafilade sur la joue, on va finir par penser que les méchants sont trop nuls et que personne ne risque vraiment sa peau. Un exemple ? Barb dans Stranger Things saison 1. C’est la copine moche de la jolie Nancy. On la voit dans de nombreuses scènes mais à part son amitié avec Nancy, on ne sait rien sur elle. Le spectateur n’a pas le temps de s’y attacher. Allez, on te sacrifie pour montrer que la créature maléfique est vraiment pas là pour rigoler. Fait amusant cependant : les spectateurs se sont pas mal rebuffés sur le sort réservé à cette brave Barb. Du coup, on insiste un peu sur ses funérailles dans la saison 02. Dans la saison 04, c’est pareil. Je vais pas dire les prénoms mais ça risque de spoiler donc si vous avez pas encore vu, rendez-vous au paragraphe suivant. A la fin de la saison 04, nous avons deux personnages au bord de la mort. Une qui est là depuis la saison 02 et qui a des liens forts avec la petite bande de chasseurs de Demogorgons et un qui est apparu au début de la saison 04. Et qui vient de vivre le meilleur kiff de sa vie dans une longue scène très graphique. Qui qui va mourir ? Damned, c’est dur de deviner…
La liste de priorité des morts dans les films catastrophe
Pour connaître un peu la durée de vie d’un archétype, rien ne vaut l’analyse des films catastrophe. En général, tu as une personne de couleur qui crève en premier, suivi d’un trou du cul qui n’est pas le méchant mais qui est agaçant, une dinde stupide puis un random vieux. Les belles filles sympas et les hommes blancs charismatiques sont immunisés, eux. Sauf s’il ne doit en rester qu’un et ce sera la fille car personne ne peut tuer la final girl. A peu près. J’avais trouvé ça très drôle dans Le pic de Dante. Dans le jeu du qui qui meurt : la mamie se sacrifie pour sa famille et meurt. Les papies et mamies aiment bien se sacrifier pour leur famille, oui. Par contre, le chien qui est parti en direction de la lave et des émanations toxiques, lui, non. Oui, la survie des animaux est très normée aussi. Le chien survivra quasi systématiquement. Par contre s’il y a un chat dans un téléfilm à base de psychopathe qui veut tuer l’héroïne, il va systématiquement crever. A noter l’originalité de Liaison fatale qui s’en est pris à un lapin.
Allez, une dernière mission et à la retraite
Et puis, dans la série de ceux qui vont crever et on le sait : le vieux briscar. Vous savez, le flic ou le militaire en fin de carrière qui commence un peu à fatiguer et se dit qu’il fait cette dernière mission et qu’après, il raccroche pour goûter des jours heureux avec sa famille. Déjà, penser à sa famille ou même l’évoquer juste avant une mission ou une intervention, c’est se coller une énorme cible sur le front. Si quelqu’un doit mourir, c’est toi, c’est la règle. Surtout si tu parles de ta famille de façon totalement déconnectée de l’histoire.
Bon, Michel, on va y aller. Tu es prêt ?
– Oui, oui. J’ai hâte d’avoir fini. C’est l’anniversaire de ma fille de 4 ans ce week-end, on a préparé une super fête…
Bon ben Michel va mourir, ma foi. Ou passer un sale quart d’heure. Et évidemment, dans Une quelconque aventure, y a ça. Littéralement. On a un vieux flic sympa mais un peu bourru. Tout le roman insiste sur le fait qu’il est un peu vieux et tout, qu’il est à l’ancienne. Il part en mission chercher des indices. Pendant qu’il fouille, il pense à sa famille, ses enfants. Que quand même, ce serait plus raisonnable de raccrocher pour profiter de la vie avec eux… Vous le voyez venir ?
Oh non, un rebondissement parfaitement prévisible
Car oui, le Méchant sanguinaire était dans le coin. On a droit à une longue scène de joute verbale. Le roman nous laisse croire que le vieux flic gère la situation et qu’il va s’en sortir. Oui ? Non ? Et bien, le suspense aurait été bien plus à son comble si tu m’avais pas servi tout le plat des clichés de l’ultime pensée pour sa famille avant l’arrivée du méchant. Ce qui aurait été surprenant, c’est précisément l’inverse. Quand on joue sur les clichés pour masquer la voie qu’on est en train de tracer, tu vois ? Certes, la mort de ce personnage nous prouve à quel point le grand Méchant est impitoyable… Bon, on l’a déjà vu tuer une quinzaine de personnes mais ok, rajoutons une couche. Et puis ça permet au flic taciturne, chef du vieux, de prendre ça désormais personnellement et de serrer encore plus la mâchoire. De lui donner la rage pour retrouver le Méchant. Oui, apparemment, juste faire son job n’était pas une raison suffisamment forte, je sais pas. Tu nous poses le fait que tes héros peuvent mourir. C’est vrai que c’est pas mal vu que tu avais précisément désamorcé ça quelque scènes plus tôt. On en parlera dans le prochain article de ça car grml grml.
Sacrifier ses pions pour l’histoire
Bref, une écriture de roman, c’est comme une partie d’échec. Faut savoir sacrifier quelques pions pour atteindre la victoire. Ca ne veut rien dire mais j’adore ce genre d’aphorisme boîteux. Il est sans doute plus tolérable pour le lecteur de voir mourir un vieux monsieur qu’une jolie fille ou que le héros sans peur et sans reproches. Même s’il me semblait que Game of Thrones avait pas mal rebattu les cartes à ce sujet, notamment avec les noces pourpres. Et déjà la mort de Ned Stark. J’ai découvert cet univers via les romans et j’étais là « non mais attends, il est pas vraiment mort, y a une astuce. » Hé non. Le mec que tu as suivi sur la quasi intégralité du tome 1 est dead. Couic. Bon par contre, j’ai pas cru à la mort de Jon Snow mais parce que j’avais deviné qui il était réellement et donc qu’on avait trop besoin de lui dans la suite de l’histoire. Genre dans le tome 7 qui ne verra jamais le jour.
Vivre ou survivre
Bref, le vieux flic est mort et ça a pris bien des pages pour un truc qu’on a vu venir à cause de ce cliché de l’ultime pensée. Mais si sa mort était annoncée, la survie d’autres personnages, tout aussi prévisible, flirte un peu avec la triche. On en parle semaine prochaine.
