Des fois, j’ai des idées. Bon en vrai, j’en ai tout le temps, ça m’épuise. L’an dernier, alors que je me rendais à mon baptême en montgolfière en Egypte, j’eus une idée. Ce genre d’idée qui vous donne envie d’arrêter tout ce que vous étiez en train de faire pour vous mettre immédiatement dessus. Voyez ? J’allais écrire un journal citoyen. Genre “en attendant la fin du monde” qui nous est promise au quotidien par nos journaux. J’en fais un article en quelques minutes et depuis, rien…
Une ado les yeux grand ouverts
J’ai imaginé mille scénarios. Dans mon idée, je voulais raconter le monde à travers les yeux d’une jeune fille adolescente. Pourquoi ? Parce que les adolescents vivent tout plus intensément. On se moque souvent de l’engagement adolescent en mode “ils ne connaissent rien à la vie”, “ils manifestent pour pas aller en cours”. Certains, sans doute. Mais qu’est-ce qu’un adolescent si ce n’est une personne qui se retrouve soudain éjecté hors du cocon de son enfance et découvre le monde avec effroi, yeux écarquillés et respiration haletante. Je ne sais plus depuis quand j’ai conscience du monde mais entre mon enfance tout en douceur et guimauve et l’horreur de la guerre et de la mort des citoyens du monde par milliers, je vous jure, c’est violent. J’aimais donc bien ce côté “nouveau regard horrifié sur le monde”. Parce que mon journal citoyen devait mettre en lumière l’exagération des journaux qui nous promettent l’apocalypse tous les soirs à 20h.
Intégrer une vie privée ?
Après, pour faire plus réaliste, je voulais rajouter des petits éléments du quotidien. Si je voulais écrire un vrai journal de vie mêlant actualité et quotidien, il fallait bien que mon personnage ait aussi une vie à côté. Elle n’était pas censée vivre dans un placard dont elle ne sortait qu’une fois par jour à 20h pour regarder le JT. Non parce qu’une vie comme ça, au bout du cinquième jour, tu te défenestres. Sauf que j’avais pas du tout le goût d’écrire la vie quotidienne d’une ado de 15-17 ans (aucune idée de l’âge de mon personnage). “Le monde crève mais je dois réviser mon interro de maths. Killian m’a regardé trois fois pendant le cours de français, il est amoureux de moi, je crois. Mais je m’en fiche, moi, c’est Thiago que j’aime pour la vie”. Roh non, on s’en fout. J’avais éventuellement pensé à faire un “blog citoyen de jeune ado” ce qui permet d’évacuer l’élément vie privée avec une sublime mise en abyme. Mais…
Le basculement n’a pas eu lieu
… Ce qui me paraît un peu intéressant dans le journal citoyen de fin de monde imminent (ou à peu près), c’est justement la confrontation de la grande Histoire avec le petit quotidien. Dit sans mépris. J’ai pour projet un roman de basculement politique et l’idée, c’est de mêler l’avancée de l’histoire et petits drames personnels. En gros, l’histoire, c’est une longue coulée de boue qui avance inexorablement vers le village un peu conscient de ce qui arrive mais qui en nie la réalité. Raconter le quotidien de l’actualité permet certes d’en grossir la dramaturgie mais même les plus passionnés d’actu ont une vie à côté. Ce n’est pas tout l’un ou tout l’autre. Personne ne vit uniquement sur son canap’, devant BFM ou je ne sais quoi. Sinon, il se défenestre au cinquième jour, je vous promets.
Quelle matière première ?
… Ce qui est compliqué dans cet exercice et qui m’a fait trébucher direct, c’est le média. Quel est ma matière première ? Je pensais JT, bien entendu, le 20h est générateur d’angoisse depuis toujours. Le générique de celui de TF1 est basé sur la musique des dents de la mer, ça situe le niveau. Quand je dis qu’on vous sert tous les soirs l’apocalypse avec votre céleri rémoulade, c’est vraiment ça. Je pensais donc m’asseoir devant mon JT (en replay, j’ai pas la télé et je fais toujours plein de choses à 20h… sauf regarder le JT), prendre ça le plus premier degré possible et romancer. Sauf que j’ai ici deux problèmes :
- Existe-t-il encore un seul citoyen qui ne s’informe que par une seule source ? Un seul JT ? Je ne suis plus adolescente, je n’ai plus la télé et des idées politiques très arrêtées qui font que je me mets au fait de l’actu via Mediapart, Arrêt sur images, courrier international… et les réseaux sociaux. Ma petite ado, là, forcément qu’elle a des réseaux sociaux. Mais est-ce qu’elle se contenterait d’envoyer des snaps/tiktok rigolos avec quelques poses stylées sur Instagram ou elle suivrait quelques comptes politiques en fantasmant sur tel ou tel chroniqueur ou journaliste parce qu’elle est plus mature que les garçons de son âge, bla bla bla ?
- Mais surtout : en quel temps ? Quelle forme ? Etais-je censée poster une entrée chaque jour ou faire une compil longue comme la mort en fin de semaine ? Surtout que je suis pas convaincue de l’intérêt de l’immédiateté du truc. L’idée est de souligner qu’on fait souvent des caisses sur un drama qui sera oublié dans un mois, trois mois, six mois. Je veux dire, cet été, plus personne ne pensera au Griveauxgate… Reprendre l’écriture trois ou six mois après un événement ? Oui, ok mais quelle sincérité dans mon écriture puisque je sais ce qu’il va se passer. Je peux mettre le curseur de naïveté au maximum, est-ce que je ne tricherais pas un peu ?
Le projet qui n’a pas trouvé sa forme
Bref, j’ai trouvé le projet sympa mais je n’ai pas réussi à le mettre en place. Peut-être parce qu’en réalité, l’actualité va trop vite. Les sources sont désormais si nombreuses qu’il devient difficile, voire impossible, de trouver un fil rouge dans tout ce fatras et d’identifier un des cavaliers de l’apocalypse dans ce chaos. Peut-être que pour mettre en scène l’absurdité de la dramatisation médiatique, jouer sur un journal de l’après assumé tel quel. Mais autre effet kiss kool : à force de moquer la dramatisation médiatique, on rate certains signaux forts. Genre quand on disait tous, l’air suffisant, que le coronavirus, c’était qu’une grippette.
Tous témoins de notre temps mais comment ?
En résumé, je trouve intéressant que nous soyons tous témoins de notre temps. J’ai juste pas trouvé sous quelle forme faire ma part du taf.
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