En voilà une phrase cliché qui m’exaspère. Je ne sais plus à propos de quelle fiction j’avais noté cet article, sans doute Supacell qui est un bon cas d’école au niveau clichés d’écriture. Je m’étais déjà moquée de cette série sur l’utilisation du cliché “on fait semblant de pas se connaître” utilisé deux fois dans un même épisode. Peu importe d’où je la sors, cette phrase finalement car… elle est partout, dans beaucoup trop de fictions. On va appeler ça l’appel à la vraie vie.
Entre archétypes et clichés
Le cliché est l’ennemi de l’auteurice. Tel un vieux tour de magie qui ne surprend plus personne, il peut faire retomber tout un suspense bâti pendant des chapitres ou des épisodes entiers. Evidemment, il est très difficile de proposer quelque chose de réellement inédit, à moins de partir dans l’absurde. Un peu la vanne d’un vieux sketch de Studio Bagel sur le contrôleur de clichés. L’écriture est un exercice d’équilibre constant où tu dois user d’archétypes et de concepts narratifs sans te vautrer dans le cliché.
Quand l’auteurice surgit dans le roman
Et justement, cet appel à la vraie vie, c’est littéralement le magicien qui arrête le spectacle pour hurler aux spectateurs qu’ils doivent applaudir. “Regardez, j’ai évité ce cliché !” Et bah super, Jonathan, tu veux une médaille ? Cet appel à la vraie vie, c’est l’auteurice qui insère un commentaire DVD dans sa diégèse. “Oui alors là, j’étais un peu coincé dans mon récit et en général, quand les héros sont acculés, les renforts arrivent. Mais moi, j’ai refusé cette facilité d’écriture. J’ai cherché une autre voie.”
Mais me fais pas sortir de ta fiction comme ça
“On n’est pas dans une fiction, ici”. Si, justement. Et me le rappeler en utilisant un cliché finalement aussi éculé que celui que tu as choisi d’éviter va précisément me faire sortir de l’univers narratif. Il faudrait voir à ne pas insulter mon intelligence en fait. Quand je me lance dans la lecture, l’écoute ou le visionnage d’une fiction, je sais que c’est pour de faux, avec des acteurices. Ca ne veut pas dire que je ne m’immerge pas dans l’histoire. Ca ne veut pas dire que je n’ai pas les yeux qui piquent à la fin du Robot Sauvage, de la famille Takada, After Yang ou la série Arcane. Je viens de vous citer quatre de mes bangers, comme disent les plus jeunes que moi. Je me considère même comme une audience docile. J’ai beau me la raconter fictionologue, j’écoute d’abord poliment l’histoire qu’on me raconte. Sauf si l’auteurice n’arrête pas de me sortir de son univers.
Les auteurices tapent l’incruste
Je n’aime pas voir l’auteurice dans la fiction. Chaque auteurice a ses marottes et on retrouve certaines permanences, d’un roman à l’autre. Le rapport au père dans les trois Marie Vareille que j’ai lus, même si lesdits rapports varient d’un roman à un autre. Melissa da Costa aime bien qu’un homme s’endorme auprès de sa maîtresse en la touchant. Des auteurices vont aussi avoir une recette un peu inamovible qui peut se retourner contre eux. J’avais adoré le premier roman de Victoria Hislop mais les suivants se déroulaient exactement sur le même schéma. Je parle parfois de Mary Higgins Clark que je lisais ado. Jusqu’au jour où j’ai trouvé sa recette. Je savais donc qui était le tueur dès le premier quart du roman. Et pourtant, en tant qu’audience docile, je ne cherche pas à résoudre les crimes fictionnels à tout prix. Le pire, c’est l’auteur qui se met dans la peau de son héros. Souvent un homme qui se met dans la peau d’un personnage irrésistible. Apparemment, Guillaume Musso fait ça aussi. Diantre.
Le clin d’oeil lourdingue au lecteur
Du coup, à chaque fois que je lis cet appel à la vraie vie, c’est littéralement l’auteurice qui vient me planter son coude pointu dans les côtes. “T’as vu, t’as vu, j’ai géré, hein ?”. Non. A aucun moment. Cet appel à la vraie vie me semble être une sorte de clin d’oeil complice à l’audience. Un procédé que j’apprécie en général… quand c’est bien fait. Parce que l’appel à la vraie vie, c’est de l’autocongratulation, déjà, mais surtout… Utiliser un cliché pour souligner le fait que tu n’as pas utilisé un cliché, tu trouves ça smart ? Alors, oui, l’appel à la vraie vie, ça sonne vrai, dans l’absolu. Je suppose qu’on a tous dit ça un jour dans un moment d’énervement, de colère. “Non, ça va pas s’arranger, la vie n’est pas un conte de fées”. Mais il n’en reste pas moins que tes personnages sont dans une fiction et leur faire dire ça me le rappelle. Et si ta fiction n’est pas super carrée à côté, tu m’auras perdue.
Un cliché à éviter sauf si ça se justifie
Bref, arrête de glisser un appel à la vraie vie dans tes dialogues alors que tes personnages sont des personnages. A moins de vouloir créer un effet particulier. Par exemple prenons Serial Mother, un film des années 90 où Kathleen Turner était une mère de famille tueuse en série. Kamoulox ? Son fils et sa petite copine sont fans de films gores et en regardent tout le temps. A un moment, ils sont témoins malgré eux de l’assassinat d’une personne par la mère de famille et l’un des deux dit “oh c’est dégueulasse. C’est pas comme dans les films, là, le sang est presque noir”. L’appel à la vie réelle n’est pas là pour souligner le fait qu’un cliché n’a pas été utilisé mais pour souligner le désarroi de personnages face à une réalité qu’ils ne concevaient pas. Et là, je valide. Même si j’ai très peu de souvenirs de ce film en dehors de ça donc je ne vous le conseillerai pas dans l’absolu.