Dans les fictions, les gens parlent. Soit via dialogues soit via monologues, pensées… Et parfois, une phrase, une réflexion fait particulièrement mouche. On lit ou on entend une phrase et dans notre cerveau, il y a comme une exaltation. L’impression d’une révélation qui nous fait voir les mystères de l’univers. “Mais oui, c’est trop ça !”. C’est ce que j’appelle des accents de vérité et j’adore. Mais faut quand même que ce soit bien écrit.

Une femme, potentielle seule survivante de l’Humanité
Cet été, pour me reposer du marathon du Comte de Monte-Cristo, j’ai lu Le mur invisible de l’autrichienne Marlen Hausofer. L’histoire : une femme se retrouve bloquée dans un chalet en basse-montagne, isolée du reste du monde par un mur invisible. Ce qui semble l’avoir sauvée d’une étrange apocalypse qui a transformé les Humains en pierre. Le roman prend donc la forme d’un journal intime qui nous narre deux ans de vie de cette femme et son organisation pour survivre avec un chien, une chatte, une vache. Et les tâches quotidiennes, parfois éreintantes, sont entrecoupées de réflexion sur la vie, notamment en société. Tout ce que l’héroïne se forçait à faire par convention et qui lui pesait, par exemple. Et combien de fois, j’ai eu envie de lui taper dans la main et lui déclamant : “on est ensemble.”

C’est normal de trouver des textes qui résonnent en nous
J’avais parlé, il y a de longues années, de ces chansons qui semblent raconter notre histoire ou une héroïne qui nous ressemble. Sur les chansons, surtout celles de rupture, ce n’est pas étonnant en soi. La rupture, c’est le seum. C’est la fin des espoirs, des histoires qu’on se raconte. Forcément, y a au moins une chanson qui vous fera penser à ça. Idem sur la partie petits coeurs, petites fleurs, d’ailleurs. De la même façon, la fiction propose tant de personnages de fiction que, forcément, y en a un ou deux qui va nous ressembler.

Vivre une vie par procuration
Et c’est plaisant car ça offre une forme de raccourci. Déjà par l’empathie que l’on crée avec ledit personnage. Il va vivre des situations que nous ne sommes pas forcément amenés à croiser. Genre une apocalypse. L’empathie va nous inciter à nous mettre dans la citation et imaginer sans peine comment, nous, on réagirait. Même si, me concernant, je me suis toujours dit qu’en cas d’apocalypse zombie, je mourrai dès le début vu que je ne sais pas courir. Après, est-ce que j’ai envie de survivre dans un monde où je risque de me faire boulotter le cerveau à la moindre inattention ? Bof.

Des petites pièces du puzzle de l’univers
Mais surtout, les accents de vérité mettent des fois des mots sur de vagues idées qui flottaient en nous sans avoir pris forme. C’est vraiment ce que j’ai ressenti à la lecture de Le mur invisible. Comme des petites révélations, à droite, à gauche. Ça me donne l’impression, réelle ou supposée, d’obtenir une pièce de puzzle en plus sur notre monde, notre société. Une mise en perspective que je n’avais pas ou que je n’avais qu’ imprécisément. Bon sang mais c’est bien sûr, Marlen, tu as trop raison.

Une parole sans concession mais sans méchanceté
En plus, Le mur invisible nous partage la parole d’une femme convaincue d’être la dernière sur Terre. Elle écrit son récit sans savoir si quelqu’un le lira. Elle commence à écrire après près de deux ans de solitude, par ennui. Le récit se termine quand elle n’a plus de papier. Hé oui, elle est encerclée par un mur invisible donc plus de papier, plus de papier. A partir du moment où elle est persuadée qu’au fond, personne ne viendra jamais dans sa zone, elle écrit en toute liberté. Ce n’est pas une femme méchante. Sinon j’aurais détesté le bouquin. Plutôt une femme lucide. Elle parle de sa famille dont elle était séparée au moment de l’événement et en parle sans concession. Notamment de ses filles dont elle n’est pas si proche. Elle sait, d’intuition, qu’elles sont mortes et elle en est malheureuse. Mais elle pleure ses petites filles, celles qu’elles étaient enfants, et non les femmes qu’elles sont devenues. Car celles-là, elle ne les aime pas beaucoup.

Réfléchir à sa propre vision de la société
C’est tout l’exercice auquel se livre Marlen Haushofer, finalement. Partager les pensées d’une femme lambda débarrassée de son vernis social. Une femme ni particulièrement méchante, ni particulièrement gentille. Forcément, à écrire ce que l’on pense parfois avant de se censurer, ça délivre quelquefois quelques vérités. Pas des vérités de type “elle dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas”, version 2025. Non. Juste des sincérités d’une personne qui a vécu en société et qui n’y retournera plus jamais. Il y avait ça aussi dans L’année du Lion. Roman post-apo très bien se reposant là sur des enregistrements témoignages et écrits un peu identiquement avec un évènement maintes fois annoncées qui n’interviendra qu’en fin de roman. Dans l’année du Lion, le leader de la communauté réalisé des enregistrements des survivants pour constituer des archives. A un moment, il demande aux témoins ce qu’il leur manque le plus de la civilisation effondrée. J’avais tellement aimé ce passage car les réponses étaient intéressantes, que l’on soit d’accord ou non. Mais surtout j’avais la sensation qu’entre les lignes, Deon Meyer, l’auteur, me tendait un micro. “Et toi, Nina ?”

La satisfaction de trouver les mots justes
J’aime qu’un·e auteurice mette des mots sur des pensées floues ou inexistantes chez moi, provoquant comme un chatouillis électrique dans mon cerveau. La version agréable, comme la combi de body hit avant qu’ils envoient la sauce. Et moi même, en tant que gribouilleuse du net, qu’est-ce que j’aime quand quelqu’un me dit “mais oui mais c’est trop ça” ou voit un article comme une révélation. Ou se sent moins seul parce que j’ai mis des mots sur un malaise qu’iel ressentait. La fiction a cela de magique que l’on peut enrober ces pensées par un récit. Faire déculpabiliser les maladroits même si, révélation, on est tous maladroits, à un moment ou à un autre. Des moments où un personnage devient un peu quiche. Tant que l’auteurice ne pousse pas le curseur trop loin car trop ridiculiser son personnage, c’est aussi prendre le risque de faire sortir l’audience de son univers.

Un court roman contemplatif qui fait du bien
Bref, j’ai aimé Le mur invisible. Je pense que ça ne fait pas de mystère. Ce n’est pas un roman intense. Si vous voulez du post apo façon Walking dead, passez votre chemin. Pas de zombies, pas de Negan. C’est plus une contemplation d’un monde débarrassé des Humains sauf une, de son pragmatisme à la survie, de ses réflexions sur le temps d’avant. Mais c’est bien écrit et avoir une héroïne juste normale, ni plus forte ou plus maladroite qu’une autre, ça fait aussi du bien.