La semaine dernière, j’ai été passablement énervée. Par un livre, pas juste par cet automne arrivé si vite et passant directement en mode froid et pluie. Même si là, telle que vous ne me voyez pas, je suis en train d’écrire sur ma terrasse en t-shirt. Donc la semaine dernière, j’ai fini un livre qui me faisait un peu traîner des pieds parce que j’arrivais pas bien à m’attacher aux personnages. C’était un peu plat, je ne voyais pas bien où ça voulait en venir. Et l’ultime rebondissement m’a effectivement surprise. Pas parce qu’il était bon et bien amené. Non, je l’ai été parce que l’autrice n’a pas respecté le contrat passé avec le lecteur.
Une écriture compliquée pour rien
Appelons ce roman “Jolie pivoine”. L’histoire : une fille qui avait prévu d’aller se suicider décide finalement d’acheter une mystérieuse maison abandonnée. Ayant moi-même la passion des mystérieuses maisons abandonnées, je valide. Sauf qu’en fait, l’ancien résident, un écrivain auteur de thrillers sombres, vit toujours caché dans une pièce secrète de la maison. Ou alors, est-ce un fantôme ? La construction du récit est très complexe à suivre, on navigue un peu dans la temporalité. Un coup, la meuf part pour se suicider alors que le chapitre d’avant, elle parlait de son aménagement dans la maison mystérieuse. Quoi ? On fait régulièrement des retours en arrière de quelques heures… Ah oui et c’est un roman choral qui ne donne pas le nom du personnage donc il arrive régulièrement que l’on commence un chapitre sans savoir qui s’exprime. Idéal pour l’immersion.
J’aurais dû aimer ce livre
Mais à la limite, ça… Ce sont des parti-pris que je ne comprends pas, ça peut arriver. A côté de ça, le style est agréable, quelques phrases particulièrement bien troussées. D’ailleurs, il n’est pas impossible que ce point précis ait exacerbé mon exaspération. Il y avait une belle maison mystérieuse dont la description me plaisait beaucoup, une idée de nouveau départ pour l’héroïne et une belle plume. Et à ça, une petite dose de mystère. J’étais de bonne composition. J’aurais pu passer outre quelques facilités scénaristiques genre personne ne semble posséder le plan de la maison. J’aurais dû aimer ce livre. C’est vraiment comme aller dans une pâtisserie pour prendre son gâteau préféré et… il est pas bon. Pas dégueulasse mais trop sucré, écoeurant, vous voyez ? Le moment de plaisir que vous attendiez est gâché. Et je n’ai pas assez de moments de plaisir dans la vie pour tolérer qu’ils soient gaspillés.
Une volte-face qui oublie tout le reste du roman
Mais le pire, c’est la fin. La fin où l’on découvre que le psychopathe de l’histoire, ce n’est pas l’écrivain mais la femmee ! Attends quoi ? Elle tue un mec juste parce qu’il la saoule. Et un autre parce qu’il a vu la voiture du premier chez elle. En fait, c’est une tueuse du sang froid. Elle va débusquer l’écrivain et lui sort “Je savais que t’étais là, je t’entendais venir dans ma chambre, la nuit. J’ai lu tous tes bouquins. C’était trop bien”. Non. Alors non. De un, elle n’a lu qu’un bouquin du romancier, elle trouve ça pas mal mais un peu sombre. Elle écrit dans son journal qu’il faudrait qu’elle en achète d’autres. Ensuite si elle sait que le mec traîne chez elle, pourquoi elle va en accuser un autre de bouger ses affaires dans sa maison ? Et surtout on apprend dès le début du roman qu’elle était régulièrement violée par un de ses bosses. Mais un inconnu qui rentre dans sa chambre et renifle ses cheveux, ok, elle accepte. Alors même qu’à un moment, elle pense qu’elle ne risque rien chez elle car y a son chien qui veille. Ces infos, je les ai de première main, ce sont ses pensées. C’est littéralement de la triche.
N’insulte pas l’intelligence de ton audience
Pour moi, le contrat passé avec le lecteur, ou le spectateur, est simple : on ne doit pas se foutre de sa gueule ou insulter son intelligence. Je sais qu’il est difficile d’écrire un polar mais… Déjà, je ne vois pas trop en quoi ce roman est un polar vu que personne n’enquête sur rien. Y a juste un écrivain qui pleure son ex et on laisse planer un suspense sur le fait qu’il l’aurait peut-être tuée. La maison est réputée hantée mais… Pourquoi en fait ? Bref, autant je comprends que surprendre l’audience est un enjeu narratif, autant faut ménager ses effets. Je veux dire un illusionniste qui fait exploser un théâtre pour faire disparaitre un lapin pour épater un public, ça ne marche pas. Ok, il y aura de la surprise et plus de lapin mais…
Ne me montre pas ce qui n’a pas de raison d’être montré
Tu ne peux pas me faire entrer dans la psyché d’un personnage pour me dire ensuite que je ne savais pas tout. Personnage qui n’est pas du tout décrit comme ayant de multiples personnalités. Même si c’est une astuce flemmarde, en général. Je m’étais agacée de la même façon pour L’origine du mal, un film où on me montrait une personne en prise à un grand émoi. Alors qu’à la fin, tu réalises qu’elle trichait. Mais que ça n’avait pas de sens, sa réaction. Karim Debbache avait cité un exemple dans Glass Onion aussi. Attention, spoiler si jamais. Quand Duke meurt, Miles raconte que Duke a pris son verre par erreur. Il est mort empoisonné à sa place. Ce récit s’accompagne d’un flash-back. Or, rebondissement ! Duke n’a jamais pris le verre de Miles. “Ahah, personne n’a vu quel verre a pris Duke et vous avez cru Miles”. Sauf que… bah si, on l’a vu. Littéralement. Le film nous a montré l’échange des verres. Il est donc malhonnête de nous dire ensuite que ça n’a pas eu lieu.
Aucune ambiguité possible
Vous allez me dire que c’est pareil dans Anatomie d’une chute puisqu’à un moment, on nous montre une scène de Sam et Sandra en train de se battre, illustrant l’hypothèse de la culpabilité de Sandra. Mais dans le déroulé du film, il était parfaitement clair que ces images illustrent une hypothèse. Elles ne s’imposent pas comme une vérité implacable. Alors quand Glass Onion, le flash-back n’est qu’un cache-misère. Surtout qu’il accompagne un récit, on aurait pu se contenter de l’image de Miles qui parle. Dans Anatomie d’une chute, cette courte scène est là pour nous faire comprendre que les jurés imaginent la scène.
Le tueur sorti du chapeau
Cette volonté de tromper avec des astuces nulles, ça me rend folle. Parce qu’en temps que public, je me sens un peu insultée dans mon intelligence. Je me suis souvent agacée de l’astuce du tueur sorti du chapeau. “Le tueur, c’est Pascal, le mec qui vient acheter du pain à la page 36”. Non, non. Je ne suis pas une lectrice ou spectatrice qui cherche à tout prix à trouver qui est le coupable avant le reveal. Mais sortir le coupable du chapeau, c’est de la triche. Te raconter les pensées d’un personnage et te sortir à la fin que, ahah, on t’a juste pas partagé ses pensées sombres. Non. Non ! Pourquoi, dans les Mary Higgins Clark, le tueur, c’était toujours l’homme qui n’avait jamais le bâton de narration ? Parce que ton personnage ne peut pas avoir peur s’il sait qu’en vrai, c’est lui le tueur.