Dans le monde futuriste d’Augura, il y a très peu de nostalgie du temps passé. Les jeunes gens que l’on suit en début de roman vivent avec leur propre technologie. Ah oui, le bracelet qui permet de tout ouvrir dans la ville, utiliser la technologie locale. Mais je viens encore de lire un roman avec un bracelet du futur donc définitivement, je vais trouver autre chose. Et justement, en lisant le dit roman, Les larmes de Saël, j’ai chopé un petit point que j’avais dans mes dystopies : la sacralisation de certains de nos objets, notamment les livres. Ce que j’appelle les reliques du temps d’avant. Et je ne suis pas la seule.
Parce que les livres, c’est important
Déjà, dans Technopolis version 1, Oceany avait soudain l’intuition que des choses étaient dissimulées à la bibliothèque de la ville, lieu où personne ne se rendait car les gens ne lisent plus ma bonne dame, dis donc. J’avais 19 ou 20 ans quand j’ai écrit ce roman, pardon pour le manque de subtilité. Je sortais à peine du lycée, j’avais appris les autodafé, déjà aperçus dans le Indiana Jones et la dernière croisade. Oui, en 89, quand le film est sorti, j’avais pas trop capté cette histoire de livres brûlés mais déjà, je trouvais pas ça très bien. Puis évidemment, Fahrenheit 451, lu alors que j’avais 14 ans. Le livre qui a fortement marqué Technopolis sur de nombreux aspects. Le livre, c’est sacré, c’est précieux.
Les futures générations ne connaîtront pas le livre, ohlala
A Augura, le livre n’existe pas en tant qu’objet. Les habitants ont perdu la faculté d’écrire à la main, tout passant par clavier, le support papier n’existe plus. Et j’invite mon héroïne dans une petite quête initiatique sur le sujet. Elle a également un globe, offert par une grand-mère. Objet purement décoratif au début du roman mais qui va finalement l’aider à ce représenter le monde dont elle est désormais déconnectée. Ah les reliques du temps d’avant ! Il y a un côté un peu pédant, là-dedans, je trouve. Ahlala, ces générations futures qui ne connaissent pas les livres car ça a été remplacé par des écrans… Ouais, ok, boomer !
Le livre, relique du temps d’avant
Et je ne suis donc pas la seule. Récemment, j’ai lu deux romans où les héroïnes, des filles un peu différentes de la plupart des gens, voyez, touchent des livres. A savoir les Larmes de Saël cité plus haut et La fille de l’eau. Tout comme Augura, les livres papier ont été remplacé par des écrans. Et nos héroïnes ont un étrange lien avec ces livres. L’une s’émerveille de l’objet. L’autre a une sorte de fétichisme avec ces quelques livres vu qu’elle est une des rares à en posséder. A Augura, dans mon histoire, il me semble qu’il y a une bibliothèque à un moment et ça crée le même effet que dans Technopolis : tout ça n’intéresse plus.
Une nostalgie pas très en phase avec les problèmes écologiques de notre société
Sauf que je ne suis pas convaincue, aujourd’hui, que le livre papier a encore beaucoup de sens. J’adore le livre papier, hein. Oui, y a l’odeur mais je ne la fétichise pas tant que ça. Par contre, j’aime lire un livre papier parce que je me sens hors écran, justement. Rien ne m’est plus délicieux que de lire quelques pages sur la plage avec juste le bruit de la mer… Bon, ça, c’est le rêve car en vrai, y a toujours des enfants qui pépient. Voire qui beuglent si t’as pas de chance. J’aime cette liberté du livre papier qui se lit sans avoir besoin d’être chargé, sans craindre que le sable ne l’abîme, par exemple. Je ne suis pas une fétichiste du livre en tant qu’objet. Autant je peux être sensible à une couverture, autant je ne prends pas toujours soin de mes livres, surtout à l’époque où je les trimballais partout. Parfois, je peux mouiller des pages, surtout quand je lis sur la plage. Je laisse parfois des traces de crème solaire. Je ne corne pas les pages mais mes livres, ils vivent et c’est tout. Mais j’ai conscience de l’aberration écologique qu’ils représentent aujourd’hui et j’apprécie également la lecture sur tablette.
Ah bah c’était mieux avant
Et je trouve intéressant de voir ce que l’on fétichise dans nos récits futuristes. Autant Iris a besoin de sa quête initiatique de l’écriture manuscrite que je vais pas pouvoir lui enlever, autant le globe, finalement… Quand j’étais au collège, j’avais écrit une rédaction un peu futuriste, je ne me souviens pas du sujet exactement. Pour faire “trop dans le turfu, t’as vu”, j’arrêtais pas de coller des références au temps présent genre Jean-Jacques Goldman ou Michel Berger, c’était de la musique classique. Le personnage devait passer devant une boutique d’Antiquité, je ne me souviens pas. Je me souviens néanmoins que malgré ma bonne note, la prof avait souligné que mon univers fictif du XXIIIe siècle était beaucoup trop tourné vers le XXe. Et là, c’est pareil. Derrière ce fétichisme des reliques du temps d’avant, je trouve qu’il y a une volonté un peu absurde de mettre en scène un “c’était mieux avant”.
Jouer avec la technologie, c’est dans le cahier des charges
Tu ne peux pas écrire une histoire du futur sans offrir quelques bijoux technologiques. Sauf le post-apo, évidemment vu que y a plus de technologie du tout. Genre dans Better than us, je trouvais l’espèce d’aimant téléphone que tu mets dans l’oreille à la fois fascinant… et absolument flippant, j’aurais peur que ça se bloque dans mon conduit auditif. Déjà que je suis pas bien entendante… Tout ce qui est holographique ou écran transparent est toujours amusant même si, l’écran transparent, c’est pas ouf niveau intimité. Ca fait limite partie du cahier des charges. Si tu parles du futur, tu dois offrir quelques gadgets, c’est comme ça. Je m’en plains pas, c’est une partie très ludique dans l’absolu. Mais la tentation est grande de mettre en parallèle certains éléments de notre présent dans une sorte de prévention du tout technologique. Ou pour marquer un temps long qui s’est écoulé comme dans La fille de l’eau où les héroïnes passent un temps fou dans une fosse plastique pour trouver des objets du temps d’avant. Un peu comme dans ma dissert, oui.
Y a déjà des choses que vos gosses ne connaîtront pas
Bref, je trouve amusant ce fétichisme des objets du temps d’avant dont je n’ai pas toujours eu conscience. Y a ça aussi dans Mortal Engine ou dans La passe-Miroir, dans un autre genre. Et sans doute dans plein d’autres oeuvres car parfois, on s’amuse sur “ahah, nos lointains descendants sont perdus avec nos vieux objets, hihi”. En même temps, je suis pas sûre que vos gosses comprennent le concept du téléphone à cadran. Alors que moi, j’en avais un chez mes parents ou ma grand-mère quand j’étais toute petite, hein. Comme quoi, l’oubli arrive très vite.