Raconte moi des histoires

Pour bien raconter les histoires, il faut aussi savoir les écouter

Puis-je reprocher à une héroïne son manque de rationalité ?

Héroïne ou héros mais dans le cas qui m’interpelle, c’est un personnage féminin. Je suis une audience relativement exigeante. Je me laisse volontiers bercer par une histoire, ne cherchant pas à tout prix qui est le coupable. Ce qui me frustre donc quand je le trouve alors que j’ai même pas fait l’effort de dresser un murder board mental. Oui, j’ai découvert récemment le nom du murder board, j’avais envie de l’écrire ici, du coup. Je suis assez tolérante quant aux fantaisies vis-à-vis de la réalité quand c’est assumé. Mais y a un truc qui m’agace : quand le ou la protagoniste fait n’importe quoi juste pour faire avancer l’intrigue. Mais en y réfléchissant deux secondes, ce manque de rationalité n’est-il pas très humain ?

Le manque de rationalité des personnages de roman

Je suis donc en train de lire un roman de Melissa Da Costa, La doublure. Je ne vais pas en parler aujourd’hui parce que je ne comprends pas encore le phénomène Da Costa. J’ai besoin d’en lire un deuxième pour bien resituer les choses. Bref, résumé de l’histoire puisqu’elle me sert de réflexion pour cet article; Evie est une jeune ingénue embauchée par un couple pour être l’assistante de l’épouse, Clara. Sorte d’artiste torturée qui adore peindre des toiles très sombres à base de viol et de cadavres. Pierre et Clara étant du genre libérés et libertins, ils entraînent vite Evie dans leur univers. La jeune femme devient vite accro. A Pierre, certes, mais surtout à la cocaïne. Je vous passe les péripéties. Mais en gros, elle a parfaitement conscience de son addiction, des effets néfastes sur son corps et son mental mais elle continue. Reprend-toi ma fille.

Personnage drogué

Alors vous allez me dire “elle est addict, on s’arrête pas comme ça”. Je n’en doute pas. Même si à un moment, dans le roman, elle doit devenir sobre et y arrive très bien mais passons. C’est au tout début de son addiction que je tique. Elle a identifié que la prise de drogue la plonge dans une déprime marquée une fois les effets estompés. A un moment, elle se retrouve seule pendant plusieurs jours avec un sachet de coke. Elle n’est pas encore addict à ce moment-là. Et bah c’est pas grave, elle se fait quelques lignes à la cool. Pourquoi ? Parce que ce sachet existe. Littéralement, je n’ai pas trouvé d’autre explication. Alors je n’ai certes jamais consommé de cocaïne donc j’ai du mal à saisir 100% le truc mais ma non-expérience sur un sujet ne devrait pas m’empêcher d’établir une empathie avec un personnage. A ce moment-là de l’histoire, de ce que je percevais, l’héroïne n’avait aucun problème d’addiction et détestait la descente. Du coup, si t’aimes pas ça, pourquoi tu t’en offres une gratos ?

Cocaïne

Evidemment, le roman est du genre “descente aux enfers”. Y a de nombreux moments dans le roman où tu as envie de saisir Evie par les épaules pour la secouer très fort en lui postillonnant à deux centimètres du visage “tu vas arrêter tes conneries maintenant ?”. Ou un “mais te crame pas pour ce mec-là, il n’en vaut pas la peine”. Un cri commun à énormément de livres de “romance”. Mot étrange à accoler sur “emprise et manipulation” mais moi, ce que j’en dis. Oui, Evie, ce mec est nul à chier et t’as bousillé ta cloison nasale juste pour lui. Moi, je veux bien qu’il soit beau mais les garçons beaux, en vérité, il y en a plein. Bref, j’écoute ce roman en marchant et, alors que je me disais que, quand même, Evie devrait arrêter de faire n’importe quoi pour cet homme nul, je me suis rappelée… que j’ai pas toujours été très fine non plus sur le sujet.

Etre idiote à cause de l'amour

Peut-on écrire une romance, dans tous les sens du terme, où l’héroïne reste logique de bout en bout ? Est-ce que le manque de rationalité n’est pas un symptôme typique de l’amour. Evidemment, y a pas besoin de finir camée dernier stade avec des hémorragies nasales toutes les trois minutes pour illustrer ce manque de rationalité. Prendre une mauvaise décision pour un mec, ça peut juste être annuler une soirée entre amis pour aller le voir, lui. Et potentiellement passer une mauvaise soirée parce qu’il est bien joli mais tout nul. Il y a quelques années, je pense que j’aurais pu dresser une liste impressionnante de fois où j’ai manqué de jugeotte à cause d’un mec. Genre la fois où je suis restée un an avec un mec alors que je savais dès le départ que ça allait mal se terminer. Ou la fois où j’ai dit à un mec “toi, tu vas me faire du mal” mais que je suis quand même sortie avec, histoire de pas rater la happy end. Spoiler : y en a pas eu. Et re spoiler : cette histoire m’a bien perturbée et j’ai fait de la merde à tous les niveaux les mois suivants. Tout ça pour une histoire qui, in fine, n’en était même pas une.

Rupture amoureuse

Oui, on manque de rationalité, parfois. Je parle de romance parce que c’est mon sujet du moment mais ça s’applique à tous les pans de notre vie. Un plan où je manque de rationalité, très souvent, c’est le travail. Je ne prends pas toujours des décisions éclairées. Certes, je n’ai pas toujours les clés. Typiquement, quand j’ai accepté de retourner chez Vinyl, je m’étais assurée qu’il y avait du travail en entretien. J’ai littéralement posé la question. “Oui, oui, on ne s’ennuie pas”. Je ne sais pas qui est ce on mais s’il pouvait un peu partager son taf parce que moi, je me suis profondément fait chier. Mais pour Epicea, il y avait eu cette phrase ambiguë en fin d’entretien qui avait allumé une petite alarme que j’avais choisi d’ignorer. Si je me concentrais à chaque décision que je prends dans ma vie, beaucoup tiendraient plus du pile ou face que de la réelle réflexion.

Pile ou face

Et en parlant de pile ou face, le manque de rationalité est aussi dans les histoires que l’on se raconte, les petites superstitions que l’on met en place pour se rassurer. Moi, plus jeune, je faisais beaucoup de divination dans le shuffle. Quoi ? Je prenais mon appareil d’écoute musicale et je me disais : “si la prochaine chanson, c’est ça, c’est un signe”. Ou, quand j’ai commencé à avoir des appareils pouvant stoquer beaucoup de musique de type ipod, c’étaient les cinq puis les dix prochaines chansons. Heureusement que j’ai arrêté car sur mon spotify, ma playlist dure plus de deux jours donc faudrait un cul monstrueux pour tomber pile sur la bonne chanson. J’avoue que même si je suis sortie de la course à la romance, j’ai encore mes petites manies de chercher des signes. Je triche un peu : les signes positifs, je les prends, les signes négatifs, je me dis que c’est de la connerie superstitieuse sur laquelle il ne faut pas s’attarder. Exemple : ma boîte est en cours de rachat, ce qui me stresse un poil. Je vois un arc-en-ciel pile au-dessus de la skyline bordelaise : signe positif. Je vois un rat éclaté sur le parking du bureau en train de se faire manger le boyau par une pie… Ca compte pas. Je vois deux pies harceler deux rats le premier matin de l’année où je vais au bureau, c’est signe… que c’est vachement vénère comme oiseau, les pies, quand même. 

Les pies, c'est pas gentil

Pourquoi donc exiger d’une entité de papier d’être plus rationnelle que moi ? Ne peut-elle pas, elle aussi, y croire alors qu’objectivement, le mec est nul. On a toutes et tous un ex ou une ex bien nul·le, hein. Celui ou celle que nos potes n’ont que peu apprécié·e. Celui ou celle qui se comportait mal mais on se disait que ça allait se tasser, avec le temps et l’amour. Bon, cette croyance, elle est plus spécifiquement féminine vu qu’on nous apprend dès l’enfance que “guérir les hommes” est notre sacerdoce. Mais oui, on s’est tous et toutes plié·es en quatre pour une personne qui, in fine, ne méritait même pas de partager le même oxygène que nous. Et quand on est extérieur à ce couple nul, on a envie de dire à son pote ou sa pote “vas-y, arrête, cette personne-là te mérite pas”. Mais est-ce que dans l’histoire, cette simple phrase a été suivie d’un “ah oui, tu as raison, je lae quitte ?”. Non, c’est suivi d’un “tu peux pas comprendre”. Un truc du genre.

Tu peux pas comprendre

Parce que dans l’équation amoureuse, il y a la théorie de l’engagement. Pas de l’engagement amoureux mais de l’engagement genre “je suis allé·e trop loin, je poursuis”. Dit aussi théorie du “je refuse d’admettre que je me suis trompé·e”. Je vous jure, sur l’exemple précédent du mec avec qui j’ai même pas eu une vraie histoire, ça m’a flinguée parce que je me suis persuadée que c’était l’Homme de ma vie. Avec un grand H, oui. Du coup, je réécrivais sans cesse l’histoire en mode “ok, là, il me largue mais il va revenir, c’est sûr”. Non seulement il n’est pas revenu mais il s’est mis à enchaîner les plans avec d’autres meufs. A un moment, ça devient difficile de ne pas voir l’évidence mais la puissance du déni… On aurait écrit un roman sur cette histoire… Bon, déjà, ça aurait été un roman un peu nul, je pense. Mais surtout, l’audience aurait eu envie de me saisir par les épaules pour me secouer très fort en me postillonnant à deux centimètres du visage “tu vas arrêter tes conneries maintenant ?”. Oh !

Crier sur quelqu'un

Du coup, où est la limite ? Je m’agace souvent de la stupidité des personnages qui agissent de façon peu réfléchie pour faire avancer l’intrigue. Mon exemple favori étant Tokyo de Casa de Papel qui retourne dans la banque en pleine prise d’otage juste parce que… elle est conne. Ce personnage est infiniment con de bout en bout. Et c’est avec ce personnage de Tokyo que je saisis un truc. Je peux accepter une décision irrationnelle à partir du moment où j’ai les clés de compréhension. Je n’ai aucune sympathie pour Tokyo parce qu’elle est mal écrite, grosso modo. Déjà, je ne crois pas à sa love story alors que c’est le moteur de son histoire. Un peu gênant. Et la fétichisation d’Ursula Corbero rend le personnage un peu irréel. Tu ne comprends pas pourquoi elle semble au coeur du récit alors qu’elle n’a pas grand chose à offrir. Elle a mauvais caractère et n’est pas très intelligente. Et même pas une compétence versus les autres. Elle est juste là parce qu’elle est bonne et que les scènes de cul avec le professeur ou Stockholm arrivent trop tard dans la série.

Tokyo dans la Casa de Papel est stupide

Donc peut-on intégrer un manque de rationalité dans son récit ? Oui mais si et seulement si on pense à bien travailler l’empathie avec son personnage. Parce que sinon, ça va agacer votre audience. Et lui donner l’impression que votre personnage est un peu limité et, surtout, qu’il agit stupidement juste pour faire avancer l’intrigue. Une ficelle grosse comme un poteau et qui exaspère. En tout cas, moi, ça m’exaspère. 

Nina

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