Raconte moi des histoires

Pour bien raconter les histoires, il faut aussi savoir les écouter

Comme un goût de vengeance 

Écrire une histoire, c’est d’abord un travail d’analyse des sentiments humains. C’est la base même de la narration. Pour créer une empathie vis-à-vis des personnages, il faut que je comprenne leurs motivations. Et on observe déjà de nombreux échecs sur cette base, les personnages ayant des sentiments guidés par le besoin de faire évoluer le scénario, changeant parfois radicalement de personnalité en un temps record. Les deux sentiments les plus souvent explorés dans la fiction sont l’amour et son pendant, la haine. Et concernant cette dernière, c’est un parfait carburant pour vous raconter des histoires de vengeances.

Lady Vengeance

Récemment, par hasard, j’ai maté d’affilée deux séries de vengeance : J’irai cracher sur vos tombes, très vaguement inspiré du roman de Boris Vian du même nom, et Revenge. Labellisé comme un “Comte de Monte-Cristo” au féminin. Effectivement, y a de l’idée. A noter d’ailleurs que J’irai cracher sur vos tombes pompe allègrement aussi le roman de Dumas mais nous en parlerons une prochaine fois. Dans mon élan, j’ai donc lu le roman de Boris Vian et j’ai bien avancé dans l’écoute du comte de Monte-Cristo. Et non, je n’ai pas (encore) vu le film. J’eus aimé finir le roman avant d’écrire cet article mais il me reste encore une septaine d’heures d’écoute. C’est trop mon roman de l’été. 

Le conte de Monte Cristo, édition japonaise bizarre

La vengeance, de base, c’est un sujet délicat. Pas très chrétien friendly. Ah ben oui, Jésus, il aimait bien la notion de pardon. Le développement personnel aussi. On baigne donc plutôt dans un discours général où le pardon est la voie de rédemption et de maturité. On n’avance pas dans la vie si on est empesé par des rancœurs. Mais en face, il y a une notion de justice. De justice pure, j’entends, pas de procès ni d’avocats, ici. D’ailleurs, dans le Comte de Monte-Cristo, Dantes, le héros, est victime d’un double crime parfait et ne peut attendre aucune aide de l’institution judiciaire. Quant à la justice divine, son triste sort ne le porte plus guère à y croire. 

Le comte de Monte Cristo

De façon plus prosaïque, on va souvent retrouver des fictions qui exploitent cette injustice institutionnelle en la prenant par le prisme de la lutte des classes. En gros, les riches et les puissants jouissent d’une certaine impunité. C’est le cas, par exemple, de la série coréenne The glory ou de The Boys où un super-héros peut tuer une citoyenne par accident sans qu’il ne se passe rien. Enfin, au moment où j’écris cet article, je n’ai vu que la première saison, ne me spoilez pas. Le sentiment d’injustice de classe est un moteur puissant dans pas mal de séries coréennes ou télénovelas où les riches ont une impunité parfois absurde. Je pense notamment à The penthouse où, à la fin de la saison 01, les riches sont arrêtés et jugés pour meurtre et déplacement de cadavre mais dès l’épisode 02 de la saison 02, ils sont tous dehors parce que y en a une qui a simulé la folie et les autres, je ne sais plus. Après, ils ont juste tué une orpheline, un détail.

The penthouse, war in life

La vengeance a ceci de pratique qu’elle fonctionne par rouages, ce qui permet une structure de récit assez solide. L’audience connaît la vérité et sait quelles sont les intentions du protagoniste principal. Elle connaît sa véritable identité si celle-ci est cachée. Dans un premier temps, on va donc voir le personnage nouer des relations, discuter… Dans le cas du Comte de Monte-Cristo, on sait que rien n’est dû au hasard. Par moment, dans le roman, tu te demandes où ça va. Cf tout le passage de Simbad le marin, Haydée. Mais tu comprends que ce n’est qu’un rouage d’un plan machiavélique qui ne s’éclairera qu’au dernier moment. La vengeance, c’est un personnage qui place ses dominos pendant des heures et soudain, le premier domino chute et tout suit. Oui, fut un temps où je regardais des vidéos de chute de dominos en boucle. Comme dirait le Comte de Monte-Cristo, “je suis celui qui provoque la destinée”.

Roue du destin Carmina Burana

A la curiosité liée à la pose méticuleuse des dominos va succéder la crainte que le personnage soit découvert. Si la fiction est bien écrite, j’entends. Sinon, on s’en fiche un peu. Il faut la jouer finement, les personnages s’engagent dans une partie d’échecs de haute volée. Je suis beaucoup dans la métaphore du jeu, actuellement. Tout l’art de la narration, c’est alors de nous faire croire que notre héros ou héroïne a perdu un coup décisif, qu’iel a négligé un point et que l’adversaire va faire échec et mat. Mais il faut parfois sacrifier un fou pour gagner. Enfin, je crois, je ne sais pas jouer aux échecs. Mais ouf, le héros avait tout prévu.

Jouer aux échecs

Et c’est là que la fiction de vengeance m’embête un peu. J’adore les dominos qui chutent en harmonie mais parfois, le personnage vengeur est paré de vertus d’intelligence et d’anticipation un peu abusés. A un moment, ce n’est plus de l’analyse logique mais de la pure divination. “J’ai fait ça car je savais que vous feriez ça…” Non, désolée, tu ne pouvais pas savoir. The glory était assez fort là-dessus mais le top du top, ça restait The revenge. J’écrirai un article dessus, hein. Mais en gros, l’héroïne répond tout le temps à son complice “t’inquiète, ça fait partie de mon plan, j’ai tout prévu”. Sauf que dans les faits, elle n’avance que grâce à son complice dont elle rejetait l’aide dans les premiers épisodes. Sans lui, le premier domino serait tombé tout seul, fin de la blague. Du coup, je comprends pas bien le truc. Tu as rejeté le mec pour qu’il soit à fond dans la vengeance avec toi ? Parce que ça, par exemple, ce n’est jamais dit… 

Regarder dans sa boule de cristal pour exercer une vengeance parfaite

Bref, la vengeance est une base fort excitante car tu peux en faire un thriller, un roman psychologique… Tu peux y mettre de l’amour, de l’honneur, de la lutte des classes. Bien écrit, le roman de vengeance te fera accepter certaines entorses aux bonnes mœurs. Si on considère que la cause du protagoniste principal est juste, on acceptera qu’iel mente, vole, kidnappe. Parfois tue même si, en général, la meilleure vengeance est psychologique mais surtout lente. Celle qui entraîne la déchéance, voire la folie, de celui ou celle dont on doit se venger. Une Happy end de fiction de vengeance, c’est que celui ou celle qui l’a exercée en sorte sans encombres et heureux, alors qu’iel a commis nombre d’exactions. Une Happy end moralement discutable, quand on y pense. 

Payback, Mel Gibson et Maria Bello en pleine romance

Le souci, c’est donc que c’est trop facile de générer des émotions avec la vengeance et que ça peut vite devenir une histoire forcée avec des personnages omniscients et omnipotents qui finissent par agacer. Le pire étant ceux qui font n’importe quoi mais qui triomphent quand même car c’était “exactement ce que je voulais faire” – Pef le cascadeur. La semaine prochaine, nous parlerons donc de J’irai cracher sur vos tombes. La telenovela. 

Nina

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