Raconte moi des histoires

Pour bien raconter les histoires, il faut aussi savoir les écouter

L’amour interdit, c’est sexy

Bien le bonjour ! C’est l’été, je serai au chômage vendredi soir de façon fort officielle et j’ai envie de vous parler d’amour. Enfin, d’amour dans les fictions car quoi de plus délicieux qu’une comédie romantique à lire sur la plage ? Bon, là, mes lectures de vacances devraient être composées d’un recueil de nouvelles solar punk ou d’une histoire de nazis sur la Lune… Après je ne vais pas à la plage mais dans le Tarn alors… Bref, pas du tout le sujet. Aujourd’hui, j’ai envie de parler amour interdit, l’ingrédient un peu facile pour épicer une comédie romantique.

Amour interdit

En ce moment, je regarde pas mal de séries. Du fait que je n’ai plus rien à faire au boulot mais faut un peu secouer la série pour rester en vert sur Teams. Et entre télénovelas et séries américaines se retrouve souvent la même équation. La série nous explique que John et Jane, Juan et Juana dans les télénovelas, sont fous amoureux mais ne peuvent s’aimer car c’est un amour interdit. Interdit pour de multiples raisons. Parce que l’un et/ou l’autre est marié, parce qu’ils font partie de clans ou de familles rivales*, parce qu’elle est riche et lui un prolo. Oui, le riche qui tombe amoureux d’une prolo, c’est plus un conte de fées. C’est pas moi qui fait les règles du patriarcat. Parce qu’iels sont homosexuel·les dans une société intolérante. Ou encore parce qu’ils sont frère et soeur. Si, ça arrive dans des mangas (Angel Sanctuary) ou dans des films asiatiques (Old boy). Ah et dans Game of thrones, aussi… Bref, l’amour, c’est pas facile tous les jours.

Jaime et Cersei

Sauf que dans les comédies romantiques, l’amour trouve toujours un chemin. Même dans les séries pas du tout romantiques où cette histoire impossible suppure à chaque épisode. Par exemple, là, je découvre la série Revenge. Série qui s’est arrêtée en 2015, oui, j’ai 10 ans de retard. Bref, la série nous tease l’amour impossible entre Amanda et Jack. Et depuis, je m’amuse à deviner comment la série va nous débarrasser des “obstacles”, aka les compagnes et compagnons respectifs d’Amanda et Jack. Cette série, comme son nom le laisse à supposer, n’est pas du tout une histoire d’amour mais bien de vengeance. Pour pas qu’on oublie, un personnage vient de temps en temps rappeler à Amanda son grand amour “Ah mais tu es amoureuse de Jack, oublie ta vengeance et sois heureuse avec lui” ou “ton amour pour cet homme t’empêche d’accomplir ta vengeance.” Ah oui, merci de le rappeler vu que ces deux personnages ne sont pas si souvent ensemble…

Emily et Jack dans Revenge

Forcément, l’amour interdit, ça fait monter la tension de la série. J’avais parlé de “En un battement” à l’époque où on avait très bien saisi qui devait finir avec qui mais il y avait des obstacles. Notamment un mari côté Veronica. On sait que ça va se passer. L’équilibre ici est d’arriver à faire monter la tension sans trop la faire durer, sinon on se lasse, ni trop la réduire, sinon on ne comprend pas d’où ça sort. Bon, ok, c’est assez souvent que dans les séries, un amour interdit surgit tout à coup sans raison, parce qu’on ne sait plus quoi raconter. Quand l’équilibre est respecté, le premier baiser est un moment fort excitant pour l’audience. 

Jessica Chastain et Oscar Isaac dans Scènes de la vie conjugale

La littérature classique déborde d’amours interdites. Des amours interdites aux funestes conséquences. On pense à Emma Bovary, à Julien Sorel, Julien dans Une vie de Maupassant, Anna Karenine. Le puni n’est pas forcément celui ou celle qui commet l’entorse morale. Dans Notre Dame de Paris, par exemple, Phoebus entreprend de tromper sa dulcinée avec Esmeralda mais c’est cette dernière qui va payer au prix fort cette (més)aventure. L’amour interdit sauce infidélité n’est cependant pas une nouveauté du XIXe siècle. C’est également au coeur des légendes arthuriennes avec l’amour interdit mais courtois entre Guenièvre et Lancelot. On pense également, en vrac, à Phèdre, Roméo et Juliette ou encore Tristan et Yseult. Même si dans leur cas, c’est pas tant leur faute.

Anna Karenine

Ok, c’est une épice plutôt simple à utiliser, même s’il faut doser. Mais qu’il y a-t-il derrière ? Assez facilement, le frisson de la transgression. Je suppose qu’on a tous été en position de fantasmer sur quelqu’un avec qui ça ne pouvait pas se faire. Et vous savez ce qui attise le désir, le fantasme ? L’interdiction, l’impossibilité. “Ohlala, j’aimerais tant coucher avec cette personne mais c’est impossible parce que nous ne sommes pas libres. Ca ferait trop de mal…” Ok, dans la vraie vie, tu peux pas concrétiser tes désirs. J’insiste, je parle de désir ici, pas d’amour. Donc forcément, quand on passe la journée à mater Machin·e en se disant qu’on adorait mordre son petit cul mais qu’on peut pas, qui qui nous tisse une belle histoire pendant qu’on dort pour l’injecter dans nos rêves ? Le cerveau, hé oui. On fait donc des rêves humides avec Machin·e et au petit matin, on se réveille peut-être un peu gêné. Surtout si on n’a pas encore accepté le fait que c’est normal de fantasmer sur des gens. Même en couple. Mais surtout totalement frustrés. Ah, cet amour impossible qui me titille les reins, là. Surtout que dans les rêves, la partie de jambe en l’air est incroyable. Alors que s’il le faut, dans la vraie vie, ce serait tout pourri et vous seriez en mode “well, tout ça pour ça…”

Une liaison romantique dans Brokeback Mountain

Evidemment, ce qui est aussi intéressant dans l’amour interdit, outre le fait que ça nous fait vivre un truc par procuration, c’est l’interdit en lui-même. Par exemple, dans les dystopies ou fausses uchronies, on nous présente souvent un système très strict quant à l’attribution de partenaire. Et l’amour interdit auquel on succombe devient une transgression. Cf Un bonheur insoutenable ou Nous. D’ailleurs, dans ces univers, l’entrée du personnage en résistance se fait souvent par le biais d’une liaison ou d’un intérêt amoureux comme dans 1984, Brazil, Total Recall… Même dans Le meilleur des mondes, il y a une transgression à pratiquer le sexe physique. 

Total recall, Melina et Doug

Bref, l’amour interdit, c’est la transgression. Des règles de la monogamie ou de la société dans laquelle on vit. Y compris les hiérarchies sociales, raciales dans certains cas. L’amour interdit peut nous dire plus de l’environnement dans lequel évolue les personnages que sur ce qu’il se passe dans leur tête. Ca devient même tout l’enjeu du roman dans certains cas. Je pense à Fatale, roman de Josephine Hart porté à l’écran avec Juliette Binoche et Jeremy Irons et qui a été réadapté en série récemment. Je l’ai pas vue, la série, pas d’avis. Le roman et le film, j’en ai de bons souvenirs par contre. Le coup de tomber amoureux·se du promis ou de la promise de son enfant ou de son frère ou sa soeur, ça aussi, c’est un classique. Ya même ça dans Sissi. Même si là, pour le coup, c’est basé sur une histoire vraie.

Fatale avec Juliette Binoche et Jeremy Irons

D’ailleurs autre point intéressant dans les amours interdites : la morale de l’histoire. Parfois, les amours interdites étaient vraiment interdites et ça détruit les victimes collatérales, potentiellement littéralement. Ca peut lancer une histoire de vengeance, aussi, pourquoi pas. Mais dans d’autres cas, la morale de l’histoire est plus pimpante. Genre “c’étaient des âmes soeurs donc forcément, à la fin, tous les rouages se mettent en place pour que l’amour triomphe”. Exactement l’écriture de Revenge : comment on élimine les éléments perturbateurs pour qu’à la fin, l’équation se termine en 1+1 = 2. Par contre, j’en suis qu’à la saison 02, là, ne me spoilez pas. 

Olivia et Fitz dans Scandal

L’amour interdit a enfin ce petit goût d’écriture réussie si c’est bien amené. Comme indiqué plus haut, de base, l’amour interdit est immoral. Selon la morale de l’auteurice, j’entends. Tout le monde n’a pas la même intolérance vis-à-vis de la fidélité ou des relations de gens riches et pauvres, de nationalité ou de couleur différente. Mais l’art de l’écriture, ça va être de vous faire accepter, voire désirer, cet amour interdit parce que oui, l’auteurice a réussi à vous faire accepter cette liaison licencieuse. Quitte à bousculer votre propre morale. Vous pouvez être très attaché à la monogamie et à la fidélité et vous dire que, finalement, pour ce personnage-ci, cette liaison qui nous est promise est une bonne chose.

Final Analysis

Bref, l’amour interdit dans les romans, c’est la promesse d’une tension érotique à moindre frais. Cette envie de mordre dans cette pâtisserie crémeuse et sucrée alors qu’on ne supporte plus les produits laitiers. Ces baisers volés dans des ruelles ou des cages d’escalier, cette culpabilité peu à peu noyée dans le plaisir immédiat. Un sujet qui excite les écrivain·es comme archétypes de tourments et de malheur. La face parfois sombre de la comédie humaine. Parfois, c’est tellement facile d’écrire là-dessus que ça devient vite déceptif. Un peu comme cette pâtisserie avalée trop vite, finalement pas aussi bonne qu’on aurait pu l’imaginer. 

Dunes blanches arcachon
Par contre, les Dunes blanches sont une pure tuerie, je pourrais en manger tous les jours si je pouvais

Dans le prochain article, nous observerons une autre facette de l’amour… ou du désir. Parce que l’été sera chaud. 

* Oui, sur mon blog, j’ai décidé d’adopter la règle d’accord de proximité et non pas “le masculin l’emporte” pour varier un peu les plaisirs par rapport à l’écriture inclusive.

Nina

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