Parce qu’il paraît que je suis un peu cinéphile maintenant, je me fais quelques toiles. Et quand je vois un film qui réunit Emma Stone, que j’aime bien, et Yorgos Lanthimos, réalisateur du génial The Lobster, j’ai envie de voir ça. Surtout qu’il était question d’un film surréaliste et rétrofuturiste. Ah mais j’aime ça, moi, le rétrofuturisme. Autant vous dire que sur ce point, ce fut un raté, à part quelques plans. Mais c’est pas grave car le film, oui, je l’ai aimé.
Une jeune femme incongrue et curieuse
L’histoire. Bella est une jeune femme incongrue. Vivant chez l’étrange professeur Baxter au visage balafré, elle se comporte comme une enfant en multipliant caprices et babillages peu compréhensible. Baxter embauche Max, un de ses jeunes étudiants, pour étudier les progrès de Bella, notamment sur le plan du langage. Car la jeune femme évolue et très vite, lui vient le goût de découvrir le monde. Quand un avocat libidineux lui propose de fuir pour Lisbonne, elle accepte avec enthousiasme, prête à expérimenter la vie.
Un pur film initiatique
Comment décrire ce film ? C’est une pure aventure initiatique puisqu’à chaque étape de son périple, Bella va apprendre des choses. Il y a un côté Mange, prie, aime dans Pauvres créatures. Mais un Mange, prie, aime totalement déjanté. Et où il faut remplacer prie par pense et aime par baise. Car oui, Bella a un appétit sexuel développé et Lanthimos nous offre quelques scènes de cul assez crues mais plutôt fugaces. Si elles peuvent paraître un peu gratuites au départ, elles font pleinement partie du développement de Bella. Il y a aussi du Frankenstein dans Pauvres créatures avec le Dr Baxter qui, épris d’expériences folles, a lui-même été le cobaye de son propre père et se retrouve avec un visage totalement balafré et un corps peu fonctionnel.
Une folle puissante
Pauvres Créatures m’a aussi fait penser au mythe des folles du XIXe siècle. Il est d’ailleurs question d’hystérie à un moment du film. Cf Le bal des folles de Victoria Mas. Ces “folles” étaient le plus souvent des femmes qui ne se conformaient pas à ce que le patriarcat attendait d’elles, à savoir être des épouses dociles et obéissantes. Le film est d’ailleurs empreint de cette même violence. Le Dr Baxter se livre à des expériences “discutables” sur des femmes, Duncan l’avocat abuse souvent de sa position pour séduire et abuser les jeunes filles. Bella est très souvent traitée de folle par ce même Duncan qui ne parvient pas à la discipliner.
Une femme totalement libre
Sauf que Bella n’a aucun vernis éducatif. Elle vit en huis-clos dans la demeure du Dr Baxter jusqu’à sa fuite avec Duncan. Ce manque d’éducation lui permet de n’avoir aucun tabou et elle explore ce qui l’intéresse sans limite. Quitte à se rendre malade en mangeant trop de pasteis de nata ou se saouler dans un bar en expérimentant l’alcool. Elle ne sait pas se comporter en public et tient souvent des propos déstabilisants ou se comporte de façon étrange car elle ne sait pas qu’elle n’est pas censée se comporter ainsi. Bella est l’expression brute de la liberté. Elle quitte la table pour aller danser n’importe comment. Car c’est ce dont elle a envie. Elle brise tout chez le Dr Baxter parce que c’est son bon vouloir. Elle fait du tricycle dans la même maison. Et je mentionne juste ça parce que son tricycle est extra et que je veux le même.
Une femme totalement libre
Dénuée de ce vernis sociétal qui maintient les jeunes femmes dans un carcan, Bella est puissante. Dans le film, plusieurs personnes, des hommes pour l’essentiel, pensent abuser d’elle et de sa naïveté mais elle reprend systématiquement le dessus parce qu’elle n’a pas les codes de la soumission. Foncièrement libre, elle ne prend ses décisions qu’en fonction de ce que ça pourrait lui apprendre. Et les hommes qui l’aiment vraiment, Max et le Dr Baxter, acceptent cette liberté.
Une mise en scène surréaliste
J’ai bien parlé du fond donc un mot sur la forme car le film est à la fois beau et un peu dérangeant. Pour montrer l’évolution de la psyché de Bella, Lanthimos multiplie les jeux de mise en scène. Passant du noir et blanc à une couleur très chatoyante, du fisheye et du tilt shift qui faussent les perspectives et nous perdent un peu. L’image se stabilise au fur et à mesure de la maturité de Bella mais ce jeu de mise en scène nous offre quelques plans d’une beauté troublante, notamment son Lisbonne et son Alexandrie fantasmagoriques que j’ai adoré. Et son petit Paris sous la neige qui m’a plus évoqué le Barcelone de Gaudi que Paris mais c’est pas très grave vu que c’était beau.
Un objet cinématographique à découvrir
Est-ce que je conseille Pauvres créatures ? Absolument. Mais en précisant que c’est un film qui va alterner comédie et moments plus dramatiques et qui peut déranger par sa mise en scène et son univers un peu biscornu. Et pas du tout rétrofuturiste vu qu’à part un tramway aérien et une montgolfière au loin, ce n’est pas du tout le sujet. C’est une expérience cinématographique, il faut l’accepter. Mais vraiment, ça vaut le coup. Et j’espère qu’Emma Stone gagnera l’oscar pour cette interprétation qui est bien plus magistrale et envoûtante que ce qu’elle avait pu proposer dans La la land. Même si je l’avais beaucoup aimé dans La la land aussi.
