Raconte moi des histoires

Pour bien raconter les histoires, il faut aussi savoir les écouter

Une fiction marche-t-elle en fonction du contexte émotionnel ?

Évidemment que oui. Une évidence qui pose une question essentielle : une fiction peut-elle être unanimement bonne, indépendamment de l’humeur du lecteur ? Étant dans un contexte émotionnel compliqué depuis quelques temps, je me rends compte que j’ai certaines appétences pour les fictions de résilience. Car c’est ce que je me souhaite actuellement. Ainsi donc, les fictions doivent-elles rester classées par genre ou devrait-on les envisager selon le contexte émotionnel du lecteur ?

Pleurer au cinéma

On parle déjà de fiction “feel good” sur certaines oeuvres. Ce qui ne veut rien dire en soi. Je veux dire, le genre feel good peut vite me faire fuir car je ne suis pas une grande fan des bons sentiments et de guimauve. Typiquement, le livre puis film “Mange, prie, aime” ne m’a strictement jamais attiré parce que ça a l’air niais. Et j’ai toujours une certaine ambivalence vis-à-vis de la mystique. Je ne suis pas très branchée spiritualité donc les histoires de personnages qui trouvent leur réconfort là-dedans, ça ne me parle pas. Bref, me vendre un film ou un livre sous l’angle “feel good” n’est pas forcément une garantie de réussite.

Julia Roberts mange de la glace dans Mange, prie, aime
Alors que j’adore la glace, en plus

Et puis parfois, il y a une fiction feel good qui me touche. Parce qu’elle m’apporte une petite pierre à mon édifice, je dirais.  Une sorte de phare dans la nuit, plutôt. Ou elle comble un besoin au moment où je la découvre. Ça avait été le cas de Everything, everywhere, all at once, par exemple. Certains diront que c’est pas un film feel good mais je l’avais perçu comme ça pour ma part. Parce que j’aimais cette idée d’une femme qui s’accomplit, d’une vie redevenue meilleure à la fin de l’histoire. Oui, des fois, des Happy ends, ça fait aussi du bien. 

Everything, everywhere, all at once

Sauf que je pense qu’il y a des états d’esprit. Récemment, j’ai dit du bien de Physical et Nine perfect strangers. Alors qu’objectivement, je ne suis pas certaine que ce soit des petits bijoux d’écriture. Enfin Physical, si. Le travail sur la voix intérieure cruelle et méchante, ça marche incroyablement bien. Ça, vraiment rien à redire. Nine perfect strangers, je doute un peu plus. Déjà pour la partie surnaturelle qu’on ne comprend pas trop. Sur les personnages de Délia et Yao qui ne sont pas assez explorés à mon goût. Et je ne vous cache pas que la saison 02 ne m’enchante pas plus que ça tant on pourrait résumer ça à “waouh, que Masha est belle et énigmatique”. C’était ce qui m’agaçait dans la saison 01, là, les putters ont été poussés à fond. 

Masha dans Nine perfect strangers, saison 02

En fait, en période de crise existentielle, j’aime voir des gens trouver leur voie ou, mieux, se réconcilier avec eux-mêmes. Lors de mon arrêt maladie post annonce de mon futur licenciement, une amie m’avait prêté deux BD de Cati Baur : Pisse-Mémé et Marcie. Dans ces deux histoires, des personnages trouvent leur voie. Dans Pisse-Mémé, un groupe d’amies ouvrent une tisanerie, aidée en cela par un héritage surprise. Une Happy end en demi-teinte car après avoir réglé le problème des gens qui pissaient sur leur terrasse la nuit, une des héroïnes glisse en fin d’histoire “oh, tiens, vous avez vu ce virus qui dévaste tout en Chine”. On ne saura pas si le Pisse-Mémé survivra au COVID. C’est pas le sujet. Le sujet, c’est de profiter des opportunités de la vie. Idem pour Marcie. Pas d’héritage cette fois-ci mais un licenciement que Marcie parvient à transformer en opportunité. Une BD sympa qui raconte un extraordinaire atteignable par tous. Même par une femme commune de la cinquantaine.

Marcie de Cati Baur

Parce que le feel good ou associé a un souci gigantesque pour moi : l’histoire ne peut concerner qu’un certain type de personnes. Généralement les fortunés ou à peu près. C’était ce qui m’avait un peu agacée à la lecture de “Ta deuxième vie commence le jour où tu comprends que tu n’en as qu’une” de Raphaëlle Giordano. Roman qui aurait pu s’appeler “guide pratique de la sophrologie” car c’est de cela qu’il s’agit. L’héroïne fait donc ses exercices et décide que son taf est nul et qu’elle va partir faire ce qu’elle aime, à savoir vendre des fringues pour enfants. Elle s’installe donc dans une petite boutique à Montmartre, il me semble. Ok, l’héroïne est mariée mais on peut donc supposer un certain soutien financier, un certain pécule de départ. Idem pour Pisse-Mémé puisque la belle histoire débute avec un héritage. Moi aussi, ça me plairait bien un argent tombé du ciel qui me permettrait de lancer une petite boutique et au pire, tant pis si ça marche pas. Sauf que moi, le seul héritage en attente, c’est celui lié à mes parents donc toucher cet argent n’a rien de la belle histoire. 

Une veuve noire attend la lecture du testament, photo très cliché

Mais des fois, ça marche. Ca doit dépendre, je suppose, de notre état de base et de vers qui peut se tourner notre empathie. Physical, ça a marché sur moi parce que je connais la voix méchante qui parle dans la tête pour nous dénigrer en permanence. Et ça m’a fait étrangement fait du bien de voir cette voix mise en scène, la galère que c’est de vivre avec. Nine perfect strangers, je suis entrée en résonance, je ne sais pas comment dire autrement, avec Frances, l’écrivaine qui arrive à Tranquillum en ayant appris que son éditeur ne voulait plus bosser avec elle et qu’elle s’estimait “foutue”. Oh, tiens, une dame plus si jeune qui pense que sa carrière est irrémédiablement terminée, c’est rigolo que ça me parle… 

Frances dans Nine perfect strangers, un personnage au contexte émotionnel compliqué
Et en plus, j’aime les kimonos, moi aussi

Mais surtout, cette résonance que j’ai avec certains personnages, est-ce qu’elle ne me rend pas plus indulgente avec certaines oeuvres que d’autres ? Il y a trois ans, j’avais vu le film La traversée avec Audrey Pirault. Film vu essentiellement pour Audrey Pirault, d’ailleurs. Une histoire de gamins de la téci sur un bateau piloté par un ex-flic. Le combo classique de “tout les séparait et pourtant…”. Un film qui n’a pas d’importance en soi mais que j’ai trouvé sympa et qui m’avait fait du bien à l’époque. Parce qu’il y avait des moments de joie collective, notamment la scène des dauphins. Rien de surprenant, rien d’inoubliable. Quelques scènes marrantes et surtout une énergie. 

La traversée, casting sur le bateau

Et c’est là que je me demande : est-ce qu’on peut sincèrement critiquer une oeuvre. Feel good ou pas feel good, ce n’est plus la question. Je n’ai pas aimé Superman car j’en ai détesté la misogynie et son caractère ultra-manichéen et dépolitisé. Je l’ai détesté précisément parce qu’il se réfère à l’époque du Silver age, quand les auteurs devaient se censurer. Ca m’a énervée parce que le “c’est pas gentil d’être méchant” me paraît un peu court. Et que le “oui mais en vrai, c’est un discours pro-immigration pour dire qu’en vrai, ce qui compte, c’est pas de là où on vient mais là où on a grandi”, je trouve ça légèrement surinterprété par rapport à ce que nous raconte le film. Je pense qu’à l’heure où le fascisme arrive en courant, il faut faire un peu plus que des métaphores gentillettes. J’ai bien aimé Barbie parce que je n’attendais pas un film féministe mais un film feel good où un personnage s’émancipe. Je n’ai pas hurlé devant Pauvres créatures car je ne suis pas abolitionniste et donc je n’ai pas perçu de fétichisme autour de la prostitution de Bella. Je ne dis que j’ai eu raison et les critiques tort ou l’inverse. C’est une question de point de vue avant tout et surtout de sensibilité.

Pauvres Créatures, Bella découvre le Portugal

Alors voilà, la grande question : est-il possible d’écrire une oeuvre formellement parfaite alors que le contexte émotionnel de l’audience va l’amener à aimer ou détester celle-ci ? Je reconnais mes indulgences. Il y a même des fictions que je recommanderai selon un contexte émotionnel précis et d’autres que j’aurais tendance à déconseiller. Non pas pour leur réussite formelle ou leur échec. Juste parce que je sais que la personne n’est pas en état de la recevoir.

Une femme pleure devant un film, contexte émotionnel chargé

Bref, si vous avez des fictions cool de personnages qui se relèvent après une “chute de vie”, la section comm est ouverte ! Il semblerait que ça marche très bien sur moi, actuellement. 

Nina

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