Raconte moi des histoires

Pour bien raconter les histoires, il faut aussi savoir les écouter

Le classisme, péché involontaire des auteurices ?

Vous savez ce que j’aime le plus, quand je lis ou quand je regarde une fiction ? C’est de tomber sur une scène anodine qui me parle. Ce “ah mais c’est trop ça !”. J’aime quand un·e auteurice arrive à saisir ce détail du réel qui me donne l’impression d’être dans une conversation entre amis où on s’agace ou rigole d’une anecdote. D’ailleurs, quand il m’arrive une anecdote notable, je me dis que ce serait marrant de le coller dans un roman. Mais attention à l’écrire de façon à ne pas passer pour une connasse insupportable. Genre en se vautrant dans le classisme.

Camille Cottin est une connasse

Une anecdote pour illustrer mon propos. Retour début juillet. J’ai un entretien d’admission à 11h pour une formation. Comme les températures sont torrides, je décide d’aller faire les courses en matinée parce que le frigo est vide… Enfin, vide de crudités parce que j’ai plein de trucs qui passent au four mais il fait déjà 28° dans la maison. Bref, feta, concombre, mozza, melon, radis et tomates, venez à moi ! J’arrive à la caisse, un peu de monde. Normal, on veut tous éviter la canicule. Je surveille l’heure. Il est 10h, j’ai 10-15 minutes de trajet, je suis large. Je profite de la queue pour écrire un peu, je note quand même que les autres files avancent plus vite. Classic shit, j’ai un talent inné pour choisir la mauvaise caisse. Ca et le fait que j’ai pas vu qu’une autre caisse s’ouvrait et que les gens bougeaient pour en profiter. Après, dois-je m’excuser de ne pas être attentive à tout ce qui se passe à la queue du supermarché ? Non.

La queue au supermaché

Alors que je commence à disposer mes courses sur le tapis, je vois un panneau “hôtesse en formation”. Ah bah ça explique que ça n’avance pas trop. Mais alors que je commence à stresser un peu, une responsable arrive et l’hôtesse en formation lui montre un problème sur son écran. Une erreur de caisse qui semblait assez minime mais qui semblait nécessitait de ressortir les petits bacs à pièce et les billets pour réinitialiser. Le temps passe, passe. J’ai encore le temps de rentrer chez moi mais chaque minute de perdue risque de me faire prendre l’entretien au vol, visage rouge, cheveux collés par la sueur. Et je commence à broder l’histoire d’un personnage pressé, un peu en galère dans sa vie. Et soudain, le pépin ! La caissière en formation. 

Caissière en formation

Sauf que la façon de raconter cette anecdote peut faire passer ton personnage pour une immonde connasse. Le coeur de mon anecdote, ce n’est pas “l’incompétence” de la caissière. La pauvre, elle débute, elle rencontre quelques difficultés et c’est normal. Sauf que mon personnage est énervé. Stressé. J’imagine une scène où il commence à trépigner, regarder l’heure, penser “non mais ça va, j’ai le temps, pas de panique…”. Mais le stress monte, entre en résonance avec celui de la caissière en formation qui voudrait bien faire mais ne fait pas car son ou sa manager n’est pas bien clair·e dans ses explications. Ou qu’iel n’est pas bien pressé, lui. Le sel de la situation est vraiment dans le drame personnel du personnage. Pas dans un délire classiste où iel considérerait la caissière comme une pauvre incapable et lae manager comme l’être le plus mou du monde. Façon paresseux de Zootopia.

Le paresseux dans Zootopia

Le classisme. Je suis persuadée que de très nombreuses fictions en recèlent parce que c’est un levier assez présent dans un humour oppressif qui avance masqué. On a bien compris que faire de l’humour sur les racisés ou les LGBTQIA+, ça ne passait plus auprès d’une part importante de l’audience. Quoi sur les TQIA+, c’est pas encore ça… Par contre le classisme, on s’en donne à coeur joie. Ces gens qui n’ont pas fait de hautes études et qui sont un peu cons. La caissière et ses 3 de QI. Alors que : elle peut avoir un bac+5 comme Anna Sam, autrice de Tribulations d’une caissière. Elle a peut-être dû arrêter ses études jeune pour des problèmes divers et variés et il faut bien vivre, donc on prend les jobs que l’on peut. Personne n’est à l’abri des accidents de la vie. S’il le faut, dans deux ans, je serai caissière au carrouf parce que j’aurai pas retrouvé de job. Alors mon bac+5, j’aurai plus qu’à en faire une grue en origami. Et même si elle a un petit QI, mesure déjà discutable en soi, est-ce une raison de se moquer ? D’étaler un petit mépris du personnage qui se pense proche du sommet de la chaîne alimentaire vis-à-vis d’une autre personne sous lui dans cette même chaîne. Toujours selon sa propre grille de lecture ? 

Le classisme ou penser que les caissières sont forcément incapables de mieux

Le classisme, c’est un mépris lié à l’appartenance sociale avec tous les éléments qui lui sont liés. Le classisme, ce serait, par exemple, écrire une fiction sur une famille populo en se documentant uniquement à travers Strip Tease et quelques émissions genre C’est mon choix, les maçons du coeur… Ce serait écrire une histoire sur des “cassos” tels qu’on les imagine. Je suppose que pas mal de fictions ressemblent un peu à ça. Peut-être les Tuches par exemple mais comme j’ai pas vu, je vais éviter d’être affirmative sur ce point. Mais c’est l’effet que ça me fait. Le problème du classisme est double. D’abord, il repose sur des clichés peu sympathiques sur des archétypes. Typiquement la caissière est bête. Alors que dans la vraie vie, j’avais parfaitement conscience qu’elle venait de débuter et que mon bac+5 et moi, on aurait pas fait mieux dans la même situation. On imagine que la caissière est bête car : pas intelligente et même pas cultivée donc les gens comme ça, ils font des tâches peu qualifiées. Alors que la culture dépend du milieu d’où l’on vient, qu’on peut avoir été handicapé par certains troubles de type dyslexie ou encore… On confond beaucoup trop culture et intelligence

Homme cossu qui lit de vieux livres

Oui mais mon personnage, il n’a pas le droit d’être classiste ? Et bien je dirais que ça dépend du rôle qu’on lui attribue. Si ma protagoniste est censée être une Bourgeoise insupportable qui va vite être rattrapée par la vie, ça peut marcher. Sauf que bon, les clichés sur les bourgeois ne valent pas mieux que ceux susnommés. Et puis les protagonistes antipathiques, je déteste. Sentir que l’auteurice déteste son propre personnage offre une expérience de lecture plutôt désagréable. Sans parler du risque de tomber dans la caricature peu subtile. Ca marche auprès d’un certain public, je n’en doute pas, mais quelle tannée. Et encore, je dis ça, je pense que beaucoup de films comiques basés sur la caricature se plantent car ils n’ont pas compris l’indispensable subtilité dont il faut faire preuve quand on se lance dans ce type d’écriture. 

Versailles, série

Tout ça pour dire que j’ai un peu stressé l’autre jour parce que… non pas que la caissière n’ait pas maîtrisé un truc qu’elle venait à peine de découvrir mais parce que j’ai cru être victime de la loi de Murphy. Mais tout s’est bien terminé, je suis prise à ma formation. Et si je peste souvent contre les personnages antipathiques, j’en ai rencontré un récemment dont je dois vous parler car ça m’a beaucoup titillée.

Nina

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