J’avais décidé, en 2024, de devenir la reine des comédie musicales, que j’allais en mater plein. Même si l’heure n’est pas encore au bilan, force est de constater que ce n’est pas arrivé. Pas du tout, même. Mais ce n’est pas grave surtout que si je n’ai pas regardé de comédies musicales, j’ai découvert l’ultime film musical. Une magistrale claque artistique et j’en réclame encore. Donc aujourd’hui, dans le cadre de mon opération “Nina rattrape son inculture cinématographique”, je vous présente : Phantom of the paradise de Brian de Palma. Et pour vous situer mon inculture : c’était le troisième film de De Palma que je voyais de ma vie… après Mission impossible et Mission to mars. Emoji clown.
Un gentil compositeur vs un evil producteur
L’histoire : Winslow Leach, compositeur de génie, vient passer une audition au Paradise, la nouvelle salle de spectacle construite par le mystérieux et tout puissant Swan. Si le producteur est charmé par la proposition musicale, il décide de voler l’oeuvre de Winslow. Ce dernier se retrouve en prison et, suite à une évasion, il est victime d’un terrible accident qui le prive de sa voix et le défigure. Ivre de vengeance, il cache son visage mutilé derrière un masque et décide de hanter le Paradise tout en essayant de propulser sur le devant de la scène la douce et talentueuse Phoenix.
Patchworks de mythes
Si vous avez un peu de culture de comédie musicale ou en roman feuilletonné du début du XXe siècle, ça vous évoquera très certainement Le fantôme de l’Opéra. Ou alors vous avez vu la série des années 90. Mon cas. Même si j’ai lu le livre, depuis. Effectivement, Phantom of the Paradise est un mélange de plusieurs mythes connus de la littérature. Mélange totalement assumé, comme le laisse deviner le titre. On va retrouver une couche du Fantôme de l’opéra, le mythe de Faust, le portrait de Dorian Gray, Frankenstein. Plus quelques clins d’œil aux œuvres cinématographiques phare de l’époque, notamment une scène quasi parodique de Psychose férocement drôle.
Un film difficile à classer dans un genre
Phantom of the Paradise est effectivement un patchwork totalement improbable d’idées, de référence, de comédie, de drame et de comédie musicale. Selon Wikipédia, le film est une “comédie horrifique musicale” mais je ne suis pas tellement à l’aise avec cette définition. Déjà je parlerais plus d’opéra rock et le côté horrifique est relatif. On est plus dans le fantastique que l’horreur malgré la menace que représente Winslow et la mégalomanie furieuse de Swan. Et il y a de l’humour. Surtout en début de film certes avec un Winslow d’abord très décalé, à la limite du clownesque. L’humour devient noire et acide sur la fin, notamment avec les scènes de concert.
Un réalisateur malheureux
Phantom of the Paradise est née d’une grande déception artistique. Le jeune réalisateur Brian de Palma avait en effet été embauché pour réaliser le film Get to know your rabbit. L’histoire d’un homme d’affaires qui rencontre un magicien et souhaite apprendre ses techniques. Mmm. De Palma souhaite raconter une histoire qui met en relief le fait que le capitalisme est plus fort que nous. Que chaque contestation devient in fine une normalité. Bref, le tournage se passe mal. De Palma a très peu de marge de manoeuvre, le studio lui imposant tout jusque dans le choix des acteurs. Et drame ultime : il est viré à la fin du tournage, l’acteur principal n’est pas content du résultat et le studio remonte le film sans l’aide du réalisateur. L’exacte histoire de Winslow dans Phantom of the paradise : Swan lui vole son oeuvre et en fait une version dénaturée, monstrueuse.
Un groupe musical évolutif
Autre sujet : la production sans âme et la starification. Dans le giron de Swan, on va retrouver un groupe musical qui évolue au fur et à mesure du film en fonction de la mode du moment. On va avoir les Juicy Fruits, sorte de groupe de crooners rock’n roll typique des années 50, qui vont devenir les beach Bums, parodie à peine voilée des Beach Boys. Avant de se grimer en The undead, clone de Kiss dans un numéro hard/glam rock que j’ai adoré. Dans l’univers de Swan, tout se transforme pour ne servir qu’un seul but : son succès. Ses artistes, comme Winslow, Beef ou ce trio qui change de nom toutes les trois minutes ne sont finalement que des ouvriers au service de leur maître. Comme ce que la Warner attendait de De Palma sur Get to know your rabbit…
Une gloire qui broie tout le monde
Evidemment, qui dit monde de la musique dit starification. Dans Get to know your rabbit, le cynisme du film pousse le personnage principal à vouloir quitter son entreprise pour sortir du capitalisme. Mais trouvant la gloire dans la magie, il devient un phénomène de mode, tout le monde veut le copier. Ici, la starification est violente et broie tout sur son passage. Winslow dont le visage est littéralement broyé par une presse à disque. Beef qui surmonte sa peur pour se produire sur scène malgré les dangers. Phoenix, douce et innocente, qui plonge la tête la première dans la drogue et tombe amoureuse de Swan qui représente pour elle une sorte de Graal dans sa carrière. A noter que si Jessica Harper, l’interprète de Phoenix, a été choisie pour ses performances vocales avant tout, son physique très proche de Blanche Neige et son air adorablement angélique rend sa chute dans la starification assez terrifiante.
Un producteur mégalo et terrifiant
Et Swan. Producteur totalement mégalo, il se laisse flatter par sa Cour, ayant perdu totalement pied avec la réalité. Si la folie de Winslow est visible, graphique, au coeur même du récit, celle de Swan est plus subtile, visible surtout dans ses regards et ses sourires. Une interprétation impeccable de Paul Williams au passage, compositeur, qui a conçu toute la BO du film. Winslow et Swan agissent en miroir l’un de l’autre. Une dualité chère à de Palma. Paraît-il. Parce que moi, j’ai pas vu ses films les plus personnels, hormis celui-ci.
Un public beaucoup trop à fond
Petit point foule puisque le dernier acte tourne autour de l’ouverture du Paradise et la présentation de Faust. Je peux pas spoiler ce qu’il se passe même si c’est ultra dense et riche en symbolique. Toujours est-il que la foule pète littéralement un câble. On assiste d’abord au numéro de The Undead qui font semblant se tuer des gens dans la foule pour prendre des morceaux de leur corps et constituer Beef. La représentation initiale est quelque peu perturbée par Winslow mais le public réagit avec enthousiasme, voire fureur, à tout ce qu’il se passe. Ils vouent aux nues Phoenix qui n’était pas censée devenir une tête d’affiche. Lors de la deuxième partie, ils se délecteront de la même façon de tout ce qu’il se passe sur scène, y compris le plus tragique. Ivres d’excitation, ils finiront par monter sur scène, provoquant le chaos. Message sibyllin : la foule est incapable de discernement et adopté sans broncher ce qu’on lui vend comme tendance.
Un véritable coup de coeur
Bref, Phantom of the paradise est un coup de coeur absolu. D’abord pour son esthétique baroque, sa bande-son, ses acteurs. Et pour autre chose dont je parlerais dans un prochain article. Teasing ! Mais j’ai aimé ce film pas juste pour l’objet cinématographique mais pour sa liberté de création. Plus je découvre le cinéma des années 70 et plus je suis transportée par le génie créatif qui s’en dégage. Déjà esthétique, cf Logan’s run. Mais même dans les propositions qui sont faites. On aime ou pas. Mais si vous prenez Zardoz par exemple, on dirait un énorme n’importe quoi. Mais c’est un récit construit avec un propos, des propositions narratives et visuelles. Des éléments que je n’ai retrouvé récemment que dans certaines fictions animées comme Inu-Oh, the Spiderverse ou la série Arcane. Intéressant ce film foutraque et unique de la part d’un réalisateur blessé par une machine Hollywoodienne plus demandeuse de Yes men que de réels artistes. 50 ans après, ça a toujours autant de sens.
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