Parfois, quand je lis ou quand je regarde une série, je commence à plisser le nez. Attends, ce trope ou cet archétype, est-ce que ça ne serait pas… un énorme cliché ? Une fois repéré, je n’ai d’autre choix que de saisir mon clavier pour vous en parler. Parfois parce que ça m’amuse. D’autres parce que ça m’agace profondément. Donc aujourd’hui, parlons de ce personnage de l’écrivaine seule face à sa page blanche.

Sur quoi écrire ? Mais sur ma vie !
Je genre au féminin parce que les points médians, c’est pas ouf pour le référencement mais aussi parce que c’est le dernier cas que j’ai croisé. Et j’ai aussi décidé que dans les cas où je n’utilisais pas les points médians, j’utilisais le féminin neutre, voilà. Pourquoi l’écrivaine en panne d’inspiration est si populaire. On est ici pile dans le cas de l’auteurice qui se met en scène l’air de rien dans ses romans. En soi, pourquoi pas. C’est moins pénible que l’écrivain qui se met systématiquement en scène dans le rôle du gars dont toutes les femmes veulent le saint Pénis. Mais on en arrive souvent au même point : iel bloque jusqu’à avoir la révélation ! “Je vais écrire sur ma vie”. Non, bof.

Se créer des dramas pour écrire
Ce trope, je l’ai croisé récemment dans “Je peux très bien me passer de toi” de Marie Vareille. Un roman qui m’a permis de mesurer à quel point une autrice peut évoluer en quasi une décennie. Non parce qu’autant j’ai beaucoup aimé La dernière allumette, autant sa comédie romantique dans le vignoble bordelais… On en reparlera parce que j’ai plein de choses à dire dessus. Donc on part sur le classico : une femme en rupture de sa vie part à la campagne pour écrire un roman mais ça veut pas. Du coup, elle se crée des dramas et en fait un roman, non sans agrémenter ça des histoires de sa pote.

Quand tu galères à écrire, il va forcément se passer un truc de fou dans ta vie
Cette histoire de meuf perdue dans sa vie qui en fait un roman, on va la retrouver aussi dans Va leria. C’est un peu le switch des années 2010-2020. Avant, Carrie Bradshaw narrait sa vie et celle de ses amies pour exorciser ses interrogations. Aujourd’hui, les héroïnes le font parce que, soudain, il se passe un truc dans leur vie morne. J’en suis presque à vous conseiller de vous lancer dans l’écriture et si vous galérez, pas de panique, il va se passer un truc incroyable dans votre vie. Généralement un mystérieux beau gosse. Et un succès littéraire à la clé car tout le monde a hâte de découvrir comment vous avez profité du viol subi par votre mec pour le larguer et aller niquer avec un autre.

Ecrire une pseudo vie pour épicer sa morne vie
Evidemment, la panne d’écriture n’arrive pas qu’aux jeunes femmes peu sympathiques en mal d’épices dans leur vie. Ca peut arriver aux quadras qui en ont marre d’écrire chez elles en pyjama et qui se découvrent une première ride. C’est le pitch du roman “Chouette, une ride”, d’Agnès Abecassis. Je l’ai lu il y a bien 10-15 ans, je n’avais pas aimé. Mais je me souviens de ce personnage de l’écrivaine en pyjama qui ne sait plus quoi faire pour se donner l’impression de vivre. Dans cette veine, on pense également à Swimming pool où une autrice en mal d’inspiration s’installe dans une belle demeure pour retrouver la flamme. En guise de muse, elle trouvera Julie, une jeune femme torride qui va servir de personnage principal à notre autrice. On a aussi le trope de l’écrivain qui a perdu de sa superbe dans “Mon chien stupide” de John Fante.

Des écrivains au bord de la folie
En parlant de muse, nous avons aussi Richard Madoc, cet auteur qui n’arrive plus à écrire après un premier succès dans The sandman. Ca aussi, l’auteur bloqué après un premier succès ou la fin d’une série… Afin de retrouver l’inspiration, Madoc va récupérer la muse Calliope qu’il violera pour trouver la flamme. Comme quoi, chez Neil Gaiman, c’est pas nouveau les viols… Mais comment parler des écrivains qui sombrent la folie à cause de leur incapacité à écrire sans citer Shining ? Là, encore, un·e écrivain·e face à sa page blanche enfermé dans un lieu isolé en espérant trouver l’inspiration. Avec cette scène terrifiante dans le film de Kubrick de Nicholson, mutique et immobile, sombrant visiblement dans la folie.

Mais où est la réalité ?
Un cliché qui va de pair avec celui de l’écrivaine face à sa page blanche, c’est la confusion qui s’installe peu à peu du côté du spectateur. Est-ce que ce que je vois ou lis est réel ou sorti tout droit de l’imagination de l’écrivain qui enjolive sa réalité ? On en revient au travail d’écriture de base. Même si on part sur des univers éloignés de notre quotidien, on utilise nécessairement des ingrédients issus s de notre vécu. Or le quotidien, de base, c’est chiant. Pour une journée où il se passe un truc sortant de l’ordinaire, combien à répéter la même routine ? La routine peut être un ingrédient de roman mais il faut bien le mettre en scène. Je veux dire personne n’a envie de lire une scène où un personnage prend le métro ou le tram et il ne se passe rien. D’ailleurs, sur cette question de routine, je vous renvoie au livre Mothercloud qui fait plusieurs copier-coller de passages routiniers décrivant une vie sans relief des personnages, j’avais bien aimé.

On travestit tous la réalité
Enjoliver le réel, c’est un réflexe que l’on a tous quand on raconte une histoire, une anecdote. Non seulement on dépouille de l’accessoire mais on peut exagérer quelques coups de projecteur. Demandez à n’importe qui de raconter son premier baiser avec une personne qu’il aime ou a aimé. C’est limite si ça n’a pas provoqué un feu d’artifices, tellement c’était magique. Les papillons dans le ventre, tout ça. Personne ne va vous parler des dents qui se cognent, d’un éventuel surplus de bave, de l’odeur de pisse environnante, de la bagnole qui passe en écoutant du Jul à fond les ballons. Travestir la réalité pour en faire quelque chose de plus merveilleux, dramatique, stressant… Intense, quoi qu’il en soit, c’est un réflexe de notre cerveau. Alors dans le cadre d’une fiction tournant autour de personnages dotés d’une sacrée imagination, qui tissent des histoires niveau expert…

Se mettre en scène à défaut d’avoir un truc à raconter
Ou alors, les personnages d’écrivaines face à leur page blanche, c’est juste parce que des auteurices devaient écrire un roman et, ne sachant comment débuter leur récit, ont trouvé opportun de se mettre en scène dans ce pur moment de doute. C’est inception ou quoi ?